Le Maudit


Je suis jalousé des Dieux
et envié des Déesses!
Je suis détesté des djinns
et haï des éfrits!


Car, à peine ai-je goûté
à la sorcellerie ultra-céleste
et au miracle de la Terre,
ronde ainsi qu'une suave pastèque
et douce comme une mangue,
le couperet de la douleur
retombe sur moi,
jetant mon cerveau,
ainsi qu'une mûre
détachée de son mûrier
dans une fournaise mortelle,
dans un chaos magmatique
d'avant la formation de la Voie Lactée,
dans un cratère de volcan,
pareil à celui qui reçut en ses viscères
le corps brûlé d'Empédocle
et d'où je n'émerge
que les os faciaux écrasés
à coups de marteau infernal
et la moelle épinière
sucée par un cobra septuacéphale!


Non, je n'ai jamais
pressé contre mes doigts
et tâté avec mon esprit
une franche félicité,
illimitée comme l'Infini sidéral
et gratuite comme une Mitidja de lumière,
roulant ses grandes eaux
à travers les orangeraies
de sa plaine bénie!


Je n'ai jamais joui d'un corps périssable
comme d'une source
jaillie du désert algérien
ou comme d'une fontaine romaine
à sept étages,
d'où des griffons et des aigles
répandraient le divin nectar
sur mes lèvres sèches,
assoiffées d'or et de perles,
de turquoises et de lapis,
de marrons et de faines!


Chaque soir, je retourne à mon antre
comme un loup déçu de sa chasse,
n'emportant d'autres trophées
que des rossignols qui ne chantent pas,
des écureuils d'Asie qui ne volent pas,
des poissons morts d'asphyxie
ou même des jouets d'Infante brisés!


Et d'accuser de mes malheurs
l'homme et la femme indignes,
cette race humaine
à l'article de la putréfaction!


Mais, jamais il ne vient à mon esprit,
pendant mes soliloques intarissables
qui attirent les regards malveillants,
l'idée saine d'évoquer
quelque vindicte surnaturelle,
quelque malédiction métaphysique,
toujours possibles,
ou un mauvais sort
qu'aurait jeté à ma lointaine naissance
un devin ennemi de ma tribu
et de mon clan!


Car comment vivre
en me sachant tenu en échec
par les conjurations du Ciel
qui est mon unique refuge,
mon unique ami, ma seule mère?


Comment dormir,
tout en me sentant persécuté
par les forces obscures,
les forces mêmes qui me nourrissent
et qui, à l'ombre des grands banyans,
me dictent, ainsi que des séraphins,
mes poèmes,
comme le Figuier d'Inde
qui illumina le Bouddha
et répandit sur ses oreilles
Sa propre doctrine!


Cependant, j'ai tout lieu de croire
que là-haut,
au fond du firmament étoilé,
il se passe des évènements tragiques
et s'y développent des luttes à mort fratricides
entre soleils sur le point de s'éteindre
et d'autres qui naissent à peine,
les premiers forcément défavorables
à mon sang,
les seconds bienveillants!


Et, pendant les nuits
d'angoisse et de délire,
je me console, sans autre motif
que l'espoir que quelque jeune soleil
exerce sur moi
une influence bienfaisante
et me protège,
ainsi qu'une bonne fée,
des flèches empoisonnées
de l'Inconnu
et des langues ophidiennes
de l'Invisible impénétré!


NAISSANCES OLIVARESQUES

RECUEIL INEDIT. OCTOBRE 2004