Le Chant Du Poète Solitaire


Je porte en moi l'âme en lambeaux
d'un prince anglais!
Car je tiens fortement
de ce prince de sang royal,
Henri, dit le Roi-Jeune,
fils de Henri II Plantagenet,
roi d'Angleterre et duc de Normandie,
et d'Eléonore d'Aquitaine,
cette reine chère à tous les poètes
pour avoir favorisé la floraison
de l'art troubadouresque!


Comme ce prince,
que la chance de bonne heure abandonna,
je répands mon bien
par toute la terre!


Mon or et mon argent
forment des ruisselets, des ruisseaux,
des rivières et des fleuves
brûlant de soleil,
riches en alluvions,
et qui s'en vont, guidés par la lune,
féconder la glèbe
et abreuver hommes, femmes, enfants et bétail
et nourrir les gentilshommes indigents,
les princesses infortunées,
les joueurs d'instruments pauvres
et les trouvères pénitents!



Et il y a du Lord Byron en moi,
de ce seigneur poète
qui choisit de mourir en terre étrangère,
mais aimée ainsi qu'une amante!


Hélas! Ces peuples que nos ancêtres
libéraient dans la surnaturelle
allégresse du sacrifice de soi,
se sont mués en despotes méconnaissants
et en tyrans ingrats,
forts de leur masse stupide!


Depuis le temps déjà de Baudelaire,
il n' y plus de seigneuresses
enfermées dans de sombres tours,
et qu'un poète malheureux
aurait pu libérer,
en escaladant le château
qui les verrait se flétrir
entre ses murs cyclopéens!


Et si les prisons lugubres
sont toujours de ce monde,
en revanche l'antique générosité
ne hante plus le coeur des jouvencelles,
et la simple bonté a quitté
nos villes et nos campagnes!


Et de m'aller tout seul
par le vaste monde,
la démarche pesante
et les pieds lourds de désenchantement,
enchaînés par la désespérance!

C'est que je suis de cette forte race
de Limousins du Moyen Âge,
d'anciens Andalous
et de vieux Crétois
qui plaçait la folie
au-dessus de la sagesse!


Et je sens couler dans mes veines
l'ardeur des Hohenstaufen,
et surtout du dernier
de cette famille d'extravagants illustres,
le bon seigneur Manfred,
ce capitaine et poète savant,
roi de Sicile,
que la fortune défit définitivement
sur le champ de bataille de Bénévent,
en l'an de grâce 1266!


Mais, malgré ce fardeau
d'infortune et de mort
que je porte sur mes frêles épaules,
je veux, en immoderne futuriste,
faire jaillir
une source de liberté et de passion,
où l'humanité exsangue
renouvellera le sang de ses artères!


ETREINTES D'AIRAIN

RECUEIL INEDIT. OCTOBRE 2004