Le Poète et les Jouvencelles


Ces jeunes filles fières
comme des iris florentins
et dont les rois d'Orient eux-mêmes
seraient indignes,
sont plus cruelles avec moi
que ne le sont les roses
avec leurs rossignols aimants!


J'ai beau leur demander l'aumône
d'un seul de leurs regards
pétillants et ensorceleurs comme le vin,
ou d'un seul de leurs sourires,
imperceptibles comme la nouvelle lune
au firmament printanier,
elles m'ignorent souverainement,
et semblent même agacées
de ma présence parmi elles!


Pourtant, je suis leur chantre inlassable
et le plus doux
de leurs rossignols troubadouresques!
C'est que la beauté,
disait le vieil Hafiz de Chiraz,
«la beauté, même injuste, est encore
charitable et tendre!»


Comment ces jeunes femmes
ne seraient-elles pas charitables,
puisque leurs hanches
ont la générosité des fruits de Dieu
et leurs seins sont tendres
comme des pis de chamelle
ou de gazelle blanche?


Et une nuit de Mai,
où les étoiles brilleront
dans le ciel embaumé,
je triompherai de la résistance
de cette cité d'amour,
où je vis comme un étranger,
exclu de l'amour
au jardin même de l'amour,
où les plus belles proies
pour les chasseurs habiles
ont élu domicile!


Si je suis exilé
bien que j'habite l'Eden,
ce paradis terrestre
si convoité par les barbares de toute sorte,
c'est que je ne possède pas suffisamment
la science amoureuse!


Oui, je ne sais tenir les discours agréables
qui plaisent aux femmes,
et ne sais tendre des filets
assez résistants à la houle de mer
et assez preneurs,
laissant même m'échapper
les plus belles des filles
que jamais les yeux d'Allah
ont regardées!



Sur quoi se fonde donc
ma certitude de triompher un jour
d'elles et de leur méfiance?
Un roi de Grenade,
celui-là même qui érigea l'Alhambra,
disait que notre vie
serait étroite et misérable,
s'il n y avait l'espérance,
vaste et débordante!


Oui, tant que je vivrai sous le soleil,
l'espérance sera mon soutien
et me fera accomplir des prouesses
inconcevables par les temps difficiles
qui courent!


En fait, la cité bénie
où se trouve ma demeure,
n'a que la semblance
du plus suave des jardins!


Elle est même une jungle tropicale,
où, à chaque fois,
je suis menacé par les tigresses miauleuses
et mordu par les singes sauteurs!


Mais, par l'espoir,
je survis à l'inimitié des êtres
et au mutisme des choses!


Oh, ne m'éveillez pas
de mon rêve de paix
en cette après-midi douce de Novembre,
où des jouvencelles extrêmement belles
passent sur le chemin,
des jouvencelles que je ne puis retenir,
de même qu'on ne peut retenir
la brise de la Méditerranée!


Mais, je m'en console
en gardant, ineffaçable dans ma conscience,
le souvenir de leur fascinante
et extrême beauté!


MELODIES DE THYM ET DE ROMARIN

RECUEIL INEDIT. NOVEMBRE 2004