Du poète et de ses Vicissitudes
J'ai longtemps médité
sur ces vers de Hafiz le Chirazi:
«Etranger dans ma patrie,
tout tremblant d'amour,
pauvre et désespéré,
je traîne mes jours
dans la tristesse et la solitude!»
Car, je fus moi-même
étranger dans un pays qui n'était pas
le mien,
mais qui n'en était pas moins
la nation, au sein de laquelle, avait germé pour la première fois
depuis les temps reculés de l'antiquité
et s'était épanouie la rose
du beau langage,
sous le doux zéphyr
venu, à travers les Pyrénées,
de Cordoue l'Arabe
et de Saragosse la Maure!
Et c'est là, sous la Sainte-Victoire,
que j'apercevais les théories
d'anges et de houris
monter au paradis,
où, comme dans la Terre promise,
coulent le miel et le lait
des victorieuses bouches des péris!
Et, assis sur le seuil de ma maison,
je voyais cette montagne bleue
flotter comme une mer
sur la blonde plaine d'Aix!
Le souffle de Frédéric Mistral
et de Théodore Aubanel
s'accumulant avec l'haleine
des poètes galants de l'ancienne Provence,
faisait fermenter,
comme la sève des vignes,
mon sang gréco-latin, arabo-andalou
et turc,
en des suaves mélodies
de thym, de menthe et de romarin!
Pourtant, dans cette contrée bénie,
aux oliviers séculaires,
vivaient des jeunes gens superficiels
et des jeunes filles indifférentes
qui, tous, tenaient en mépris
le noble langage courtois
où avaient excellé troubadours et troubadouresses!
Car, dès l'âge le plus tendre,
ce peuple était absorbé
par la lutte pour la survie individuelle
et accablé par le souci du pain quotidien,
bien que ce pays, étonnamment riche,
eût pu pourvoir amplement à leurs besoins,
s'il n'était atteint d'une congénitale avarice
et travaillé par une intolérable vanité!
Or, cette race qui jadis connut
le joug des barons cruels du Nord
et oublia jusqu'à sa propre langue,
me rejeta violemment!
Et pendant quatre cents nuits,
couché sur un grabat fétide,
j'ai hululé comme un oiseau de nuit
à la lune,
et j'ai crié mon désespoir
d'être séparé de la Bien-Aimée de mon âme,
unique oasis sur le chemin aride
de ma vie livrée aux vents du désert!
Puis, j'au vu se refermer,
sur ma raison délabrée,
les grilles de l'asile!
Aujourd'hui, dans la douce Kifissia,
où maint poète jadis
s'enlaça de ses bras frêles
aux hauts peupliers blancs,
ou dénonça aux platanes
ses mains pareilles à des feuilles,
ou foula les pelouses,
parmi les pâquerettes et les camomilles,
ou enjamba les ruisselets
qui sont le vin de cette cité d'amour,
ou aima les lys de Florence,
portées par les charmantes demoiselles
aux yeux noirs sous des parasols blancs,
oui, dans cette douce Céphisie,
je suis étranger dans ma patrie
et demeure exclu des plaisirs du monde!
C'est que, comme partout ailleurs
sur la terre, plus petite
et plus mesquine que jamais,
ici aussi le peuple s'est détourné
de la religion du désir
et ne jure plus que par la musique lugubre
des banlieues industrielles,
musique que le Septentrion
imposa à toutes les nations,
à la façon d'un spécieux modèle
de savoir et de vertu plébéiens!
Or, quand c'est la plèbe
qui mène le monde,
il n'y a plus qu'anarchie de goûts,
plus que confusion de genres et de perspectives,
plus que haine,
plus que barbarie!
Seules, peut-être,
les Négresses qui travaillent en chantant
ou les jeunes femmes de Bali
qui portent des offrandes au temple,
ou seuls, encore,
les Hindous qui se baignent dans le Gange
et les derviches illettrés d'Iran,
pourraient être attirés par mes vers!
Cependant, je continue
à creuser des sillons
dans la plaine mystérieuse de l'amour
et à ensemencer le très ancien
champ du désir,
auquel j'apporte l'engrais de l'esprit!
Car je sais, parce que Hafiz l'a dit,
que rien, si ce n'est l'acte du Juste,
ne durera toujours!
Et je suis de ceux
pour qui l'amour n'a pas de prix,
et qui se vouent au plaisir du coeur,
à travers le corps ébloui!
Ô Déesse, fais en sorte
que mes poèmes soient désormais
aussi clairs que la plus pure des rivières
et aussi joyeux qu'un éternel printemps!
MELODIES DE THYM ET DE ROMARIN
RECUEIL INEDIT. NOVEMBRE 2004