Portrait du Poète Amoureux


Le bon Hafiz dit:
«Au pays de l'amour,
le cloître et la taverne voisinent.»


Comme ce pays n'est pas sur la carte,
que ce n'est ni Grenade ni Fez,
ni Damas, ni Halep,
ni Ispahan, ni même la divine Chiraz
qui rêve sur les rives du Roknabad,
l'auteur ne peut désigner par là
que le coeur de l'amoureux,
à la fois ascète rigoureux
et pilier de taverne,
tantôt moine fanatique,
tantôt buveur de doux vin
et acheteur de roses!


Je suis moi-même
le paradigme de tous les amoureux!
E effet, quand je sors de ma chambre,
où je reste invisible la moitié de la journée,
je vais à l'estaminet
pour y boire le café
et pour contempler les jeunes beautés
dont les hanches, ainsi que des rochers de rivière,
font froufrouter les soies de jupes,
ces hanches que, quand je les vois,
je défaille,
car je devine leur masse de bronze
sous les pantalons bleus serrés à la taille!
Et tant je me confonds,
par la pensée,
avec les jeunes femmes
que je me sens devenir elles!


C'est que j'aime les femmes,
non pas de façon décente et régulière,
mais indécente et hétérodoxe,
comme un laurier vert,
ou comme un cerisier en fleurs,
qui attend, tout seul dans la plaine,
l'amour des abeilles
et des papillons!


Et de sentir leur grâce
prendre possession de moi
comme dans un songe de Pan,
et de jouir ainsi de leur chair,
voire de leur croupe,
ronde comme une poule,
ou comme une orange de Valence ombiliquée!


Une fois rentré
dans ma cellule de dévot,
je me livre à diverses austérités,
dont l'exercice de l'art poétique,
puis je lis des livres
qui ont pour sujet l'amour,
aussi bien l'amour des jeunes filles
que l'amour des déesses,
afin d'avoir pendant le sommeil du matin,
le plus doux des sommeils,
des rêves délicats,
dignes d'un poète érotique
comme le divin Hindou Yayadeva,
l'auteur de Gita Govinda,
où il est question des amours de Krishna
et de Radha!


Et comme, à la manière de Descartes,
je m'attarde le matin au lit
jusqu'aux portes de midi,
la première chose que je vois
à mon réveil
dont l'angoisse se dissipe
avec la lumière du soleil,
c'est toi, chère âme,
sous la forme d'une génisse
blanche et plantureuse,
mangeant des lys,
couchée dans des fleurs de blé!


Et je m'applique les lèvres
sur tes mamelles tièdes
de lait maternel,
afin d'en retirer la chaleur
qui me protégera du froid vif
de l'hiver dans cette vallée
entourée de hautes montagnes!


Et je prends ta frimousse par les oreilles,
comme une coupe par les anses,
afin de te boire
en un baiser qui durera des siècles,
et dont l'écho se répandra
dans toutes les contrées d'Occident
et d'Orient,
comme une traînée de poudre
venue de quelque guerre!

Or, en l'occurrence,
il ne s'agit pas
de la guerre de Palestine
ou de la guerre d'Irak,
mais d'une amour de pure sédition,
celle-là même qui mettra fin
à toutes les guerres,
complètement superflues,
sur cette terre, où le seul luxe autorisé
par le Livre,
c'est le luxe des roses
et des tulipes rouges!


MELODIES DE THYM ET DE ROMARIN

RECUEIL INEDIT. NOVEMBRE 2004