Le Prêtre d'Aphrodite et son Message


Je suis le grand prêtre d'Aphrodite
et sur les cent autels
du temple de Paphos,
je brûle l'encens de Saba,
la gomme arabique, le benjoin
et la myrrhe de Smyrne,
cependant que les roses
et les myrtes du mariage
embaument en compagnie
des lys de Cnossos,
des iris de Florence,
des jasmins d'Alep
et des lotus de Libye!


Mes vêtements sacerdotaux
sont en lin d'Egypte,
cousu d'or!
Sur mon dos est gravé
un immense soleil de Syrie,
et sur ma poitrine
la pleine lune de Crète!


Les portes de bronze
de la cella qui recèle en ses entrailles
la statue de ma déesse,
supportent sur leurs battants
une vaste fresque,
où je suis moi-même représenté
sous les couleurs de Pan aux pieds de chèvre,
cependant que, devant moi,
une nymphe qui me fuit,
plonge dans une rivière bleue,
où nagent, avec grâce,
les cygnes sauvages d'Afrique!


Devant les portes du sanctuaire,
sur un trône en or massif,
incrusté d'ivoire,
siège la reine de Chypre,
vêtue de la robe d'Hélène de Sparte
et couronnée d'un double diadème
d'améthystes et de lapis-lazuli
qui cache une chevelure flottante
de Bacchante!


Dans ce temple somptueux,
j'enseigne aux fidèles de Cypris
la vertu qui consiste
dans la luxure intégrale et universelle
et dans le don de soi
qui va jusqu'au sacrifice,
en hommage à la noblesse
et à la vérité!


Non, je n'enseigne pas
que tous les dieux sont morts,
car, à mon sens,
il n'appartient pas aux hommes
de faire mourir les déesses et les dieux,
chaque fois que cela leur paraît convenable,
conformément aux vicissitudes
ou à la folie de leurs mesquines existences!


En fait, il est évident de nos jours
qu'une partie, importante par sa masse,
de l'humanité veut périr!


Cette partie n'est autre,
comme chacun sait,
que l'Occident qui court,
de sa propre volonté,
vers une perte inexorable,
mais veut entraîner dans son suicide
la terre entière,
voire l'univers dans sa totalité!


Car, il y a bien longtemps
que cette fraction de l'Oecumène
est sortie de la phase du déclin,
dont furent témoins Baudelaire, Rimbaud
et Mallarmé,
pour entrer dans la phase finale,
celle de la mort!


Oui, l'Occident se meurt,
car il veut mourir,
et aucun message de vie,
aucune musique, aucune poésie,
ne l'arrêteront sur son funeste chemin!


Toutes ses révolutions,
y compris celle de ses moeurs,
en sont la preuve,
car elles furent toutes
soit le prétexte, soit l'alibi,
soit la cause de son dépérissement!


Etrange, en effet, est la conception
que se fait la plèbe de l'Occident
de la liberté!
Pour elle, la liberté n'est autre chose
que le meurtre du sacré,
que l'assassinat de la divinité!


Ainsi, se réalise la prophétie:
«Si Dieu est mort, tout est permis!»


Or, la liberté n'est pas la facilité
dans la laideur et dans l'absence
de création,
mais la maîtrise de soi
que seul obtient l'homme supérieur!


Être libre, c'est se maîtriser
en vue de se dépasser,
et c'est en ce sens qu'il faut entendre
la volonté de puissance!


Or, que voit-on aujourd'hui,
si ce n'est la foule des Blancs
se livrer à son instinct de mort!
Qui veut créer? Qui veut faire des enfants?
Qui veut peiner? Personne!


Et l'homme et la femme blancs
de se demander stupidement:
Pourquoi vivre? À quoi bon la beauté,
pourquoi la vérité?


Les anciens disent que Orphée
domptait, par les sons de sa flûte,
ou de sa lyre,
aussi bien les rochers les plus durs
que les bêtes féroces
et jusqu'au chien tricéphale des Enfers!


Or, l'homme et la femme d'Occident
sont plus durs que les roches basaltiques,
plus féroces que les fauves
et plus funèbres que le Cerbère!


Hommes et femmes encore libres,
écoutez votre poète:
Quittez, tant qu'il est encore temps,
le navire de l'Occident,
car c'est une galère qui fait eau
de toutes parts!


Sauvez-vous de l'horreur des barbares,
en reprenant la Voie montante
de la Beauté
qui seule mène à la Liberté!


PELERIN DE L'AURORE

EDITIONS ENCRES VIVES. MARS 2005