Le Mariage de la Lune et de son Aède
Par toute la ville de Syracuse,
des ruelles de l'agora
à la mer,
glorieuse éclate la renommée
de mes hymnes amoureux,
et partout se répand la rumeur
de mes noces imminentes avec la lune,
d'où jailliront comme des rivières
des odes à n'en pas finir
et qui ébranleront le coeur de pierre
de la terre
et embraseront sa masse liquide
sous l'écorce basaltique
contre laquelle, jusqu'ici,
se sont achoppés
tous mes attentats à la pudeur
et tous mes outrages aux bonnes moeurs,
les moeurs des vilains et des vilaines
qui mènent la cité splendide
à la ruine
et qui demain les premiers livreront
ses remparts et sa citadelle
aux barbares sans foi ni loi,
violateurs de l'hymen des vierges
qui, affolées, ne les auront pas fui
dans la mort
destructrice de leur jeunesse
éclatante sous les robes d'amour,
brodées d'oiseaux de Héra
et de cygnes chanteurs!
Cependant, tous les citoyens
de cette ville, perle de la Sicile,
ornent de couronnes de fleurs
les portes de leurs maisons
et, devant les seuils de leurs demeures,
ils répandent du vin et des onguents
pour fêter ainsi
le mariage fameux de la lune
avec son aède,
conformément à l'usage,
à la fois passionné et naïf,
des Grecs, et qui étonne les barbares
habitués à la rudesse
et la froideur!
Et la nuit de Juillet venue,
hommes et femmes se jettent
dans les rues et les boulevards
avec des torches allumées,
au milieu des bruits de festin
venant des palais des nobles,
à travers les croisées ouvertes!
Toute la gent innocente de Syracuse
fait la fête
afin d'honorer son premier poète,
ce stratège d'Aphrodite,
ce héraut d'Eros,
ce grand prêtre de la beauté,
ce roi de la liberté de la nature!
Et les crieurs annoncent
sur les places publiques
le bel et extraordinaire événement,
cependant que de choeurs de jeunes filles
se forment déjà,
afin de chanter l'hyménée
d'Artémis avec le poète
qui, par sa chasteté et sa fidélité,
a fait renoncer
la déesse chasseresse et farouche
à sa virginité!
Car, pour les Grecs,
la vie du poète
n'est pas une curiosité
qui émeut seulement
une mince aristocratie guerrière,
ou un pur objet de controverse
entre grammairiens alexandrins
ou scolastiques aristotéliciens!
Pour le peuple qui croit
aux déesses et aux dieux de l'Olympe,
la poésie, c'est le souffle
ou l'esprit de la nation,
l'autorité de la cité
et la gloire la plus haute,
celle du soleil à son zénith
et de la pleine lune d'été!
PELERIN DE L'AURORE
EDITIONS ENCRES VIVES. MARS 2005