La Dame et le Poète


«Madame m'en prie,
c'est pourquoi je veux chanter!».

Guido Cavalcanti



J'ai déroulé, Madame,
le cyprès admirable de votre corps désirable
vers l'azur immuable,
immarcescible et immaculé
que vous honorez de votre âme impérissable,
siège de la bonté,
de la générosité et de la courtoisie!


Oui, c'est vous, Madame,
qui me priez de révéler votre amour
aux hommes et aux femmes de notre siècle,
que consume un soleil de pur artifice
et qu'étreint un désert de granit
et de basalte!


Je bénis l'heure, le jour, le mois, l'année,
la belle saison de Mai
et le beau pays d'Aix
où pour la première fois
j'ai contemplé vos yeux!


Jamais depuis l'époque mythique de Laure
de tels astres ne s'étaient levés
sur la bonne terre de Provence,
profanée par l'oubli
et l'ingratitude des vilains!


Et bien qu'abondamment
j'eusse bu dans vos prunelles,
le souvenir de leur sombre suavité
s'est amorti en moi!


Etaient-elles de noirs diamants,
de jais ou de goudron?
Je ne sais!


Je sais, cependant, que depuis tout me déplaît,
tout me paraît terne,
tout me semble gris,
livide ou blême!


Or, si vos yeux étaient obscurs,
leur obscurité était celle
du firmament étoilé de Grenade
où il neige des lunes vierges
comme les âmes des jouvencelles!


Non, vous n'aviez pas les tresses d'or
de Laure,
mais aviez la riche chevelure châtaine
des Andalouses du temps des califes!


Oui, vos cheveux s'épanouissaient
sur vos épaules
comme des roses castillanes
accablées de soleil!


Vos yeux et vos cheveux sont,
Madame,
les deux pôles qui s'éclairent
et guident ma course solitaire
à travers le monde bruissant
de soupirs de joie et de tristesse!


Pourquoi donc n'avons-nous
jamais cueilli le fruit de notre maturité?
Pourquoi l'arbre de notre vie
ne s'est-il jamais chargé
des fruits de notre vigueur?


Pourtant, les racines en étaient puissantes,
et feuilles et fleurs
en étaient édéniques, paradisiaques!


C'est que, Madame,
les Erinnyes avaient à ma naissance
pénétré jusque dans mon berceau
sous la forme de deux serpents
que j'aurais vaincus
si j'avais la force d'Hercule-Enfant!


Comme elles ont hanté mes ancêtres,
toujours les Erinnyes me hanteront,
à moins que le soleil
ne se couche dorénavant en Orient,
à moins que les montagnes de l'Himalaya
ne s'émoussent,
à moins que les glaces des pôles
ne fondent!


NOCES VERNALES

RECUEIL INEDIT. JANVIER 2005