La Métamorphose du Poète


Ô fille plus belle que les houris,
tu dévastas le jardin de la fatuité,
de la vanité et de la présomption!
Et tu m'arrachas
par une douce violence
à l'inaccessible cachot de l'individualisme
et de l'illusion égocentrique d'autarcie!


Comme une rose
tu m'as fait surgir
de la glace du calvinisme
qui confine à la désolation de la psyché
et à la mort spirituelle!


Tu ouvris la cage
où j'étais enfermé
en me donnant le génie
de chanter comme un rossignol
aux nuits tièdes d'été
et en m'enseignant la science amoureuse
ou gai savoir
consistant dans l'alchimie de l'âme!


Et tu me libéras
du camp des réprouvés
en m'attachant à ton âme
embaumée comme un oeillet
rouge de Mai
avec le licou incassable
de la joie, de la démesure
et de la plénitude
comme un coursier obéissant,
dompté par sa belle cavalière,
alors que jusque là
je n'étais qu'un cheval sauvage
qui battait les solitudes de la sierra
ou se perdait dans la lande enneigée!


En me faisant entrer
dans la vigneraie de ton cerveau de femme,
tu me ravis à jamais
au domaine enseveli
sous l'ivraie de l'ennui,
et tu détruisis en moi
le germe du spleen
qui par le passé
rendit stériles
tant de poètes de génie
et qui aujourd'hui trouve son expression
dans le pessimisme abyssal
et dans le scepticisme total,
miroirs agrandissants,
brisés en milliards de fragments
où se regardent stupéfaits
et comme éblouis
l'homme et la femme désemparés,
ou en désarroi,
miroirs sans tain
où la face humaine déformée
par le morcellement,
apparaît difforme et hideuse,
à l'image des démons du néant!


C'est que l'homme moderne
mange mal
pour ce qui est de son âme!
En effet, il reçoit
une nourriture gâtée
à force de pourrir
dans des colossaux silos souterrains
où des énormes rats mécaniques
rongent à perte de vue
et à longueur de journée
le noble froment de nature,
béni par les dieux!


Oui, tu rendis mon coeur
à la joie de la jeunesse
et de la force adolescente,
la même jeunesse, la même joie
qui traversa comme un éclair
l'art européen à son aurore
aux doigts roses!


Et tu fis fleurir dans mes yeux
le divin sourire,
messager de ce rire intérieur
qui m'illumine comme un Kouros
de la Grèce archaïque!


C'est que tu m'as nourri
au maïs même qui fit toute la gloire
et toute la splendeur des Mayas,
des Toltèques et de tous les Mexicains!


Et tu m'as fait croître
comme un platane
hospitalier aux sages
qui viennent deviser à son ombre,
car s'abreuvant à la source
du désir féminin,
loin des passions superflues
et de l'obsession de la mort!


Non, tu n'es pas
une de ces salamandres
qui sont tant froides
qu'elles éteignent
l'ardeur de l'amour
en faisant souffler dessus
le vent de l'arrogance autistique,
né de l'infantilisme moderne,
lui-même frère de l'illettrisme
contemporain!


Oui, tu es la mer infinie
d'où l'Amour m'apprit
à tirer la plus suave
et la plus fraîche des eaux!


MELEES D'AMOUR

RECUEIL INEDIT. FEVRIER 2005