La Voie Littéraire


Si j'ai embrassé dès ma première jeunesse
le parti des lettres,
c'est que cela tenait de la gageure!
C'était la voie de l'impossible,
le chemin de l'inconcevable,
la carrière du néant,
la course vers le précipice,
la chute dans l'abysse
et la certitude de la mort précoce!


Être poète, cela appelle le blâme
à la façon d'une tare congénitale,
d'une infirmité incroyable,
d'une débauche inconvenante
ou d'une ivrognerie méprisable!


En effet, mieux vaut rire
aux dépens des poètes
en compagnie des imbéciles
et des notables du village,
oui, mieux vaut dissimuler
et jouer aux gais cyniques,
aux joyeux lurons,
aux railleurs, aux persifleurs
et que sais-je encore!


Bref, il faut se ranger
dans le camp des esprits libres!
Ne sommes nous pas les héritiers d'Arouet?
Il est vrai que le vrai Voltaire,
avec son fort tempérament de faucon
et sa verve batailleuse et alerte
ne se serait guère reconnu
dans cette génération de vieillards nés,
épris de leur seule sécurité
et du succès de leurs affaires!


Et je me suis jeté dans la mer
de l'art poétique
comme d'autres, à la même époque,
se sont jetés,
tout aussi désespérés que moi,
dans la guérilla bolivienne
ou comme d'autres encore
ont combattu dans les armées arabes
en Palestine!


Passe encore que l'on devienne
un littérateur du non-sens
ou un dramaturge de l'absurde
ou un savant haut en couleur
et sceptique à souhait
ou un poète satirique!


Mais, être un poète de l'amour
dans cette saison de désamour,
cela dépasse les limites posées
par cette corporation despotique
qu'on nomme l'Etat moderne!
Oui, c'est la plus baroque des inélégances
pour un fils de famille
qui veut réussir,
et c'est la pire des damnations,
un quasi-crime de lèse-majesté
que de se vouloir, coûte que coûte,
homme de lettres,
et, surtout, de s'avouer
amoureux mystique,
à la manière de Madjnoun en Orient
ou de Tristan en Occident!


Oui, embrasser la cause
du troubadourisme mal famé,
voire du churriguerisme effréné,
c'est encourir les foudres des familles,
des gens sérieux
et de la Congrégation de la Foi elle-même,
tant le besoin d'une inquisition sainte
se fait encore sentir de nos jours!


Voilà où nous a conduits
la sécheresse d'âme de l'Occident
avec son goût du changement
pour le changement
en non en vue du bonheur,
et sa manie de tomber
d'un extrême à l'autre,
d'une vogue dans l'autre!


Ainsi, l'on est passé
de l'enflure et de la boursouflure
dans la sobriété d'un jeûne permanent,
érigé en dogme de mille ans!


Or, j'ai montré par mes oeuvres
les limites de cet art pauvre
auquel on nous condamne
pour des raisons obscures,
comme à un supplice intolérable
pour nous autres
amants de la carcasse terrestre,
des jardins d'agrément
et de la plastique féminine!


LE TRAGEDIEN DU SOLEIL

RECUEIL INEDIT. MARS 2005