La Vie du Poète


Je suis né sous le Bélier,
au neuvième jour d'Avril,
et, logiquement,
je devrais être porté
aux agnelades mystiques
et aux batailles féroces des anges
pour la domination des cieux!


Pourtant, je tiens à toutes
les commodités de la vie,
afin d'éviter
que quelque peine fastidieuse
puisse me détourner
de la contemplation,
but honnête d'une existence
consciente de ses devoirs
envers les hommes
et de sa dette envers les Dieux!


Non, je ne suis pas
de ces anachorètes
qui bêchent ou sarclent la terre!
Outre que je n'ai aucun goût
pour ce genre d'occupations
qui abaissent l'âme
plutôt qu'elles ne la relèvent,
je n'en ressens guère
ni la joie supposée,
ni même la nécessité,
à prouver par d'autres arguments
que ceux tirés des livres de morale!


D'autres travaux
ou, plutôt, d'autres voluptés,
intellectuelles celles-là,
m'appellent,
oui, de vagues besognes verlainiennes
dont la portée
dépasse les considérations quotidiennes
pour atteindre l'éternité,
à savoir un temps
d'avant la naissance du Temps!


Oui, plutôt que de me pencher
sur la culture de mon champ,
tel un homme d'état romain
retiré de la course aux honneurs,
je plane parmi les nuages de la théorie,
mot dont le sens originel
est bien celui de contemplation
dont la forme suprême est
l'Epopteia des Grecs!


Et comme je suis un théoricien
beaucoup plus qu'un praticien,
je dois m'occuper le moins possible
de choses sans gloire
pour lesquelles, je le répète,
je ne sens aucune inclination!


Des esprits superficiels,
imbus du sens des réalités,
trouveront ma vie monotone!
Ce fut là toujours
le principal argument des modernes
contre la Tradition,
car leur estomac gâté
ou leur caprice d'hypocondres
leur rendait antipathique
le langage immuable de l'azur!


Voilà pourquoi furent inventés
les plaisirs frelatés,
voire infernaux,
que l'on peut embrasser
dans les grandes métropoles
d'Occident ou de Chine,
plus ennuyeuses que fiévreuses,
plus agitées qu'heureuses,
et plus petites par leur médiocrité
que le plus petit village!


Et, c'est cette lassitude de la racaille
qui fut de tout temps
la nourriture des pêcheurs en eau trouble
et de tous les esprits
dont la malignité
est un sujet d'étonnement pour moi
et une source de malaise!


Ô ciel, tiens-moi toujours à l'écart
des hommes et des femmes
assaillis de faims troubles
ou assoiffés de richesses!


Et de même que jadis
la moindre fontaine
d'un humble hameau
pouvait satisfaire
la soif d'un poète
qui ne sentait nullement le besoin
d'être à Damas ou à Bagdad,
au Caire ou à Cordoue,
de même moi je n'éprouve de penchant
pour la vie de Londres ou de New York,
et, si j'ai séjourné à Paris,
ce fut pour y former mon goût
qui n'a plus besoin de cette capitale
pour se manifester dans toute son étendue!


Voici un court aperçu de ma vie:
Bien couché et bien nourri,
je n'ai pas à me plaindre
de manquer du nécessaire!
Aux premières heures de l'après-midi,
j'entreprends une promenade
à travers les jardins de ma ville
et qui conduit mes pas
à un bistrot plaisant,
où j'écris dans la lumière des verrières,
tout en contemplant les jeunes beautés,
sans pour autant entrer
en affaire avec elles,
car j'estime que les affaires amoureuses
de nos jours manquent de saveur!


En outre, depuis qu'une dame
de la Nouvelle-Espagne
me charma dans ma jeunesse,
je me suis fait un point d'honneur
de ne pas trahir la foi jurée,
et bien que mon amour ne fût payé
d'aucune reconnaissance,
je ne pus reprendre mon coeur!


Sur le chemin du retour
à mon beau logis,
où m'attendent ordre et beauté,
j'admire, en passant devant un patio,
un mimosa en or,
pareil à la crinière d'un lion!


Dans ma demeure remplie de livres,
je connais la joie unique de la lecture,
tout en espérant le beau rêve
de la nuit qui vient à grands pas
m'étreindre comme une mère!


Et telle est ma vie,
pareille au songe d'une aube d'été,
où le merle chante,
précédé du rossignol de l'excellence!


LE TRAGEDIEN DU SOLEIL

RECUEIL INEDIT. MARS 2005