Ithaque ou la Patrie du Coeur


Ecrire un poème,
c'est pour moi m'embarquer
pour une destination inconnue
sur une mer dont j'ignore les périls
et dont je ne connais
ni les récifs ni les écueils!


Les vents marins
agitent les voiles de mon navire
porté par la houle de mon âme
et qui roule bord sur bord
jusqu'à l'abysse
comme les flancs d'une jeune femme
et qui tangue
comme la chevelure de la Méduse!


Ma figure de proue
se compose d'Andromède et de Persée
chevauchant le cheval ailé
dont vaste est l'encolure
et dont la croupe à elle seule
pourrait contenir toutes mes chaloupes
de sauvetage!


Cependant, bien que je voyage
sur la haute mer
comme un ange nautonier,
les soucis de la terre ferme
que j'ai quittée
occupent mon esprit
et la nef de mon poème
à la cargaison de sagesse
de s'emplir alors
du verbe de la république
à la vie de laquelle je prends part
de toute la force de mon coeur
qu'ont tenu sur les fonts baptismaux
les magistrats vénérables
de la cité!


Soudain, la tempête éclate!
Les mariniers montent courageusement
sur les mâts
pour carguer les voiles,
cependant que moi
comme un capitaine ferme et lucide
je maintiens le cap
en me dirigeant
sur la Grande Ourse,
la Déesse-Femme qui est
la substance de mes vers
et le but de mon poème!


Les dieux jaloux de moi,
fâchés de me voir naviguer
malgré la tempête
vers un point sûr,
où, peut-être,
luxure orientale
et opulence phénicienne m'attendent
et m'espèrent même,
font souffler tour à tour
l'Aquilon et le Notus,
voulant me désorienter
et me faire sombrer
corps et biens!


Alors mes poumons s'enflent
d'un sang nouveau,
nourri par l'adversité des éléments,
et je respire tout entier
l'azur vierge
et l'arôme des étoiles
les plus éloignées,
mélangé de la saveur du sel
qui blanchit les cordages
et toute la carcasse du vaisseau!


Et nous finissons par débarquer,
moi et mes compagnons,
sains et saufs,
sur une terre, à moi destinée
par les Parques
aidées des conseils des Muses
qui toutes m'adorent,
à commencer par l'aimable Erato,
par Calliope aux grands yeux éloquents
et par Terpsichore,
la danseuse à la lyre d'or!


Cette terre nouvelle
où je viens d'aborder
me semble au début
étrangère et hostile,
mais plus j'avance dans l'arrière-pays,
plus je me rends compte,
avec uns surprise non dissimulée,
que c'est une terre familière
où j'ai longtemps habité,
avec des prairies
qui se succèdent aux prairies,
toutes émaillées de fleurs printanières,
avec des vergers auprès de la mer,
avec de douces collines
chargées d'oliviers du soleil
et de figuiers de l'amour!


Et, tout à coup, je m'écrie,
en baisant le sol sacré:
«cette île, ce n'est qu'Ithaque,
la patrie de mon coeur!»


L'ANGE DES TROPIQUES

RECUEIL INEDIT. MARS 2005