Le Message Terrestre
Non, je ne suis pas de ces amoureux volages
qui, aveugles pour la terre,
n'aspirent qu'aux cieux!
Ma foi est trop engagée
dans tout ce qui est profondément,
radicalement, absolument, divinement terrestre
pour me détourner de cette mère
commune à tous les humains
et la même pour nous tous!
N'est-elle pas
le plus bel astre du ciel?
N'en est-elle pas l'unique paradis?
N'est-elle pas le lieu de l'Eden?
Les Champs Elysées,
ce paradis des héros de l'Hellade
ne se trouvaient-ils pas sur elle,
à l'ouest de l'Espagne,
dans les Îles Fortunées,
peut-être dans les îles Canaries?
Oui, l'amour pour la terre
n'est que l'aveu des âmes bien nées,
celles dont les chemins se confondent
avec les sillons de la glèbe labourée
où sont les semences des blés
qui émergeront au printemps
et mûriront en été,
afin d'être cueillis
à la Saint-Jean,
au milieu de l'universelle liesse
où des jeunes filles
formeront des danses avec les jeunes gens
autour du feu saint!
Qui a jamais assisté
aux moissons ancestrales
dans les champs de Grèce et d'Italie,
d'Andalousie ou de Provence,
a connu aussi l'éternité
de l'instant qui passe
comme un vol de papillons
au-dessus des bleuets
et dont le bonheur surpasse
en réalité substantielle
toutes les félicités déplacées
que l'on peut tirer
des surnaturelles beautés!
Ô toi, naturelle enfant
de ma Terre bien-aimée,
toi ma pastèque et mon limon
dont l'arôme perce la pleine lune
et s'étend comme une rose
jusqu'au soleil,
sois mon amie et ma compagne
dans la découverte de la terrible Déité!
Déjà, tous les deux
nous nous combattons de courtoisie,
de galanterie, de civilité,
d'urbanité et d'aménité!
Soyons aussi deux pèlerins
des Lieux-Saints
qui se trouvent dans l'orient
de notre coeur,
et plus encore dans ton coeur à toi
que dans le mien,
ainsi que l'exige
le doux équilibre des sexes!
Terrestres sont tes flancs superbes,
pareils à la lagune de Missolonghi,
ou à Rhodes, l'île des roses,
et terrestres se veulent mes chants
inspirés d'eux
ainsi que des autres joyaux
de ta tendre personne!
Considère, ô toi dont la pensée vole,
que pour un auteur,
est-ce un bienfait inespéré
que de pouvoir caresser ton sein
au beau galbe
et que de contempler ta hanche
qui est pour lui
ce que fut le Cap de Bonne-Espérance
pour Vasco de Gama
et la côte du Cambodge
pour Camoens
qui, certes, faillit y périr
corps et biens,
comme moi je me noie dans ton océan,
mais d'où il se sauva
avec le manuscrit des Lusiades,
comme moi je remonte
de tes eaux richissimes,
bienheureux comme César
au sortir de son premier
triomphe romain!
Nos deux bouches unies,
et nos deux bras accordés,
ensemble vibrons
de cette exhortation à la jeunesse du monde
d'un sage moderne:
«Soyez fidèles à la terre»!
Laissons cette phrase
résonner à travers notre chair
et notre esprit
comme le bourdon de Notre-Dame!
LE SANG DES ILES
RECUEIL INEDIT. AVRIL 2005