Chant d'Amour d'Attique


Dans la nuit d'été
où, à part le rossignol,
tout dort et se tait,
moi seul je veille!


C'est qu'à l'instar de cet insensé
qui brûlait pour la statue de marbre
de l'Aphrodite Cnidienne,
sculptée par Praxitèle,
je brûle pour toi
qui es plus noble que le marbre
et aussi vivante
que mon sang bouillonnant
dans mes veines!


Oui, par mes transports extrêmes,
je suis devenu la fable
des jeunes gens du gymnase!


Et pourtant, je t'adore,
ô ma figue d'Andros,
mon grain de raisin de Corinthe,
mon melon d'Argos,
ma pastèque de Mégare,
mon citron de Sparte,
mon olive noire de Sélasie,
mon coing confit de Crète,
mon cédrat de Rhodes!


C'est que tu es jeune comme le Pénée,
fraîche comme l'Erymanthe,
profonde comme l'Aréthuse,
sacrée comme l'Isménos,
qui roule ses belles eaux
à Thèbes, la cité aux sept portes,
sainte comme le fleuve Amnisos de Crète
où se trouve l'antre de Lucine,
et exaltante comme les fêtes des Muses
à Thespies, au pied de l'Hélicon
et qui se doublent des fêtes de l'Amour!


Même les brunes Néréides,
Galatée, Opis, Cymodoce ou Nésée
et tant d'autres,
toutes aussi célèbres,
te jalousent quand elles te voient
fendre les flots
dans ta barque d'or
et ne voudraient jamais
te voir pénétrer dans leur royaume marin
sous le regard de leurs amants,
car tu éclipserais leur beauté
à elles toutes!


Je jetterai pour cela
ma vie toute à tes pieds
et je déploierai devant tes prunelles étonnées
tous les trésors de mon âme,
non pour me faire admirer d'elles,
mais afin de faire devant toi
l'aveu de mon désir
de ton visage,
pareil à un lys de lune,
et de tes flancs,
semblables à une mine d'argent!


Et je reposerai ma tête,
hantée de ton coeur,
dans ton sein attendri,
cependant que nous serons tous deux
couchés sur un banc de corail,
à condition toutefois
que tu t'aimes plus que tu m'aimes
et que tu n'acceptes plus
de t'humilier devant moi!


Car je veux que tu soies
mon monarque et mon despote,
ma reine et ma Déesse!


C'est qu'à travers l'amitié amoureuse
je ne cherche pas
à me rendre hommage à moi-même,
mais plutôt à honorer la beauté
comme une divinité
dont je serais le fidèle éperdu!


Oui, je veux que la seule fin de notre amour
soit l'exaltation de ton corps
d'argile et de ciel,
jointe à l'illustration éternelle
de ton nom doux comme l'Alphée
qui serpente dans le bois d'Olympie
et dont la beauté est inexprimable
comme la beauté de la couronne
d'olivier sauvage
qui orne les têtes des Olympioniques!


Oui, je m'immolerai
à ta face de lune
et je m'offrirai en holocauste
à tes cheveux châtains
dont les boucles étincellent
comme des gemmes au soleil!


C'est que je vaux mille fois
moins que toi
dont la valeur passe
la valeur des îles de l'Egée
comme celle des astres du firmament!


LES FILLES DE LA MER

RECUEIL INEDIT. AVRIL 2005