L'Aède Dionysiaque
Ô Ariane, Déesse-Lune de Crète,
verse dans ma coupe en cuivre rouge
du vin des astres,
le vin que tu connais si bien,
puisque ta couronne de mariée
est montée au ciel parmi les étoiles
et est devenue la Couronne Boréale
ou la Couronne crétoise!
Car, de même que ton divin amant
Dionysos, Celui qu'on appelle aussi Zagreus,
voyagea loin, très loin,
plus loin que le soleil,
de même, moi, je naviguai
dans un bateau ivre
en forme de croissant de lune,
en compagnie de serpents, de lions
et de taureaux!
Et je traversai l'Euphrate
en route pour les Indes
sur un pont de lierre
entrelacé de vigne,
et le fleuve Tigre
sur la croupe d'une tigresse
envoyée par Zeus!
Et je combattis les Amazones du Thermodon
et j'ai même, dans ma démence homicide,
rempli à cette occasion
la mer de leur beau sang royal!
Et je battis à plate couture
les rois des Indes
et j'y fondai des mégalopoles d'or
du Brahmapoutre à la Yamuna,
à l'image de la Golconde à venir!
Parti de l'océan méridional,
dont les eaux sont teintes de cobalt,
je remontai le Gange
à bord d'un radeau
en bois de palissandre!
Et parvenu à l'Indus,
j'y fabriquai avec les roseaux
une flûte de Pan
dont l'harmonie me valut la renommée!
Mais bien avant l'Inde,
je visitai l'Egypte
afin de m'initier aux Mystères d'Isis!
Là, aidé des Amazones de Libye,
je rétablis sur le trône en ivoire
du pays de la gloire
le vieil Ammon-Ra,
l'Hélios-Basileus
ou Roi-Soleil!
Mais, dès que je guéris
de la folie des conquêtes,
à moi infligée par les souverains ennemis
et leurs divinités protectrices,
je rentrai au vieux pays de Béotie
où je dansai sur l'Hélicon
avec les Muses, ces déesses des montagnes,
la danse exaltée
de l'antique vertige enthousiaste
et de la volupté enivrée d'elle-même!
Et sous les platanes de l'Oropos,
imitant le dieu-pâtre Pan,
j'aimai en Mai
la nymphe Echo,
la soeur de mon âme,
et dont j'eus comme enfant
le torcol, cet oiseau des amours
les plus pathétiques,
car les plus lascives
et les plus langoureuses!
Et encore aujourd'hui,
j'accompagne mes sacrifices aux Déesses
et aux Dieux
de force libations de vin,
de ce vin dont le nom même
m'apprirent les Crétois,
ces fiers insulaires, si fins, si habiles,
qui le répandirent sur le continent
dans des jarres nobles,
façonnées par les femmes potières
les plus célèbres
de cette île du soleil!
Comme ton Dieu, ô Ariadné
au beau nom cnossien,
j'aimai le lait de la vigne,
le divin jus de la grappe,
autant que les jouvencelles bénies,
ces messagères du désir olympien,
toujours comblé, toujours intact,
toujours entier,
ces merveilleuses alcyonnes du bonheur!
Et comme le grand Bacchos,
comme le bel Iacchos,
je fis à Naxos
la rencontre inattendue,
préparée par les éons,
d'une jeune femme tant belle
que je la sauvai de la solitude sauvage,
et l'emportai sur un char
tiré par quatre biches
aux rênes d'or!
PONTS DE LIERRE ET DE VIGNE
RECUEIL INEDIT. MAI 2005