Le Nouvel Anacréon


La féminine science est d'une telle importance,
voire d'une telle urgence,
pour mon esprit fantasque et extravagant
de poète gynémane
que, quittant les façons de pensée
par trop viriles,
je me métamorphose, tel un nouveau Dionysos,
tantôt en taureau, tantôt en serpent,
rien que pour guetter le passage
des plus belles d'entre les femmes
et voir comment elle se balancent royalement,
comment elles roulent leurs hanches impérialement,
comment elles tanguent lentement,
ainsi que de charmantes et élégantes pirogues
en bois de cocotier sur les mers du Sud,
comment elles se meuvent
ainsi que des escarpolettes
de princesses du paradis indien!


Et peu à peu
et presque insensiblement,
je suis devenu un fin cacatoès,
observateur attitré
et patenté
des menus faits et gestes des jouvencelles,
surprenant leurs rires étouffés,
buvant leurs paroles
légères et capricieuses,
les regardant en train de dénouer
et de renouer machinalement
leurs opulentes chevelures de soie
ou de se manger les ongles
teints avec art,
ou de se caresser les fesses
ou de se lever de leur siège paresseusement
ainsi que des seigneuresses ou des reines
habituées à une nombreuse domesticité!


Comme les femmes
aiment à se faire servir
et comme elles sont amies fidèles et dévouées
du loisir oriental
et du farniente napolitain!


Et comme elles rêvent toutes
d'être des sultanes
qui donneraient des coups de pied
à leurs maris esclaves
de leurs babouches d'or!


Oui, tant grande est l'importance
des femmes lascives, voluptueuses,
luxurieuses, licencieuses et débauchées
pour mon âme de Cyrénaïque
et d'Epicurien,
que j'ai adopté volontiers
un style d'existence quasi-féminin,
en allant, par exemple,
jusqu'à me faire faire les cheveux
et les mains
par de malicieuses petites servantes
qui prennent autour de moi
des poses langoureuses,
assises sur des poufs moelleux,
devant de grands miroirs
en forme de coeur de jeune fille!


Souvent, coiffé d'un turban d'émir de la mer,
à moitié allongé
sur un profond divan turc
parfumé au jasmin de Chio,
je suis avec une attention extrême,
et sans intervenir,
la conversation de ces demoiselles
qui tourne d'habitude
autour des sujets les plus inattendus
et les plus scabreux
pour mes oreilles d'homme
délicieusement choqué!


Mais, parmi tous les sujets
qui animent leur caquetage,
c'est bien celui de l'amour
qui a leur préférence,
et c'est pour cela que je les aime
et les adore,
car, moi-même, en tant qu'aède lyrique,
c'est par l'amour que je souffre
ou me réjouis,
et c'est l'amour qui constitue
la trame de mes chants!


Oui, je suis le chantre de l'amour,
tel un nouvel Anacréon
ou une nouvelle Sapho!


Car, c'est l'Amour,
avec la Mort,
le thème qui rituellement revient
et auquel tous, d'une seule voix,
obéissent, soit en se lamentant
comme des coucous,
soit en s'extasiant ainsi que des rossignols!


JUMENTS DE LA NUIT D'AOUT

RECUEIL INEDIT. MAI 2005