Pan et le Poète Moderne


Par une méridienne fraîcheur estivale,
alors que le coursier de feu de la canicule
se reposait, sur une feuillée
amoureuse de lui,
de ses ardeurs de gloire,
pourtant si bien de saison,
je me suis mis
sous les aisselles parfumées
d'un vaste laurier-rose
qui embaumait la jeunesse insigne,
auprès d'une source jaillissante
qui me chantait d'antiques chansons d'amour
composées par Pan,
Dieu à l'infortune notoire,
remarquable, constante, incessante,
infatigable et impitoyable!


Pourtant, me comparant à lui,
je me trouve encore plus infortuné
que le plus malheureux des Dieux!
Au moins lui, il pouvait compter
sur quelques coups de fortune
auprès des Nymphes,
ces épousées des montagnes,
ces femmes des fleuves,
ces fiancées des fourrés!


Certes, comme ce Dieu de la musique,
comme ce héros de la flûte,
comme ce fils des pipeaux champêtres,
je me console en chantant
des hymnes de mon cru,
tous dédiés aux femmes,
qu'elles soient Immortelles ou mortelles,
qu'elles soient Déesses, Néréides,
Océanides, Hespérides, Naïades,
Amazones et Gorgones
ou de simples jouvencelles
de nos villes et de nos campagnes!


Car, comme Pan,
je suis gynémane
et ne jure que par les hanches polies
des demoiselles fleuries!


Le Dieu possédait, cependant,
un immense avantage sur moi:
il avait la satisfaction parfaite
d'entendre ses odes,
et même ses chansonnettes,
répétées merveilleusement
par Echo, la Nymphe aux lèvres de clairet
et à la voix cristalline,
celle même qui s'était
follement éprise de Narcisse!


D'ailleurs, comment imaginer
que moi, ménestrel moderne,
je pourrais ne pas partager
le sort peu enviable de ce Dieu ancien,
puisque je vis à une époque enchantée,
non par la Divinité des songes éthérés,
mais par le démon des cauchemars éveillés?


Comment imaginer, en effet,
ne serait-ce que par simple hypothèse d'école,
qu'un aède ou qu'un rhapsode
pourrait attirer à lui des jeunes filles
par de simples signes d'amour,
naguère évidents appels aux oiselles
et consistant dans des battements de paupières
e dans des oeillades enflammées?


Comment un troubadour, comment un poète
ne disposant pas
de ces élémentaires garanties de richesse
que sont un avenir sûr, non aventureux,
une tâche mécanique connue,
un bel attelage
et les préjugés des citadins
des métropoles crues modernes,
pourrait-il envisager de plaire?


Courtiser une jeune femme aujourd'hui,
c'est faire la cour à une truie
ou à une panthère,
converser avec elle,
c'est engager la conversation
avec une grotte ou avec un arbre,
ou avec une fourmi
ou avec une poupée de cire
et l'émouvoir, c'est émouvoir
une roche haute comme une nue
et faite de basalte!


Voilà les pensées que je fis
par une magnifique heure méridienne d'été,
alors que la cigale
faisait ruisseler son chant
dans mes oreilles contentes
et que je m'étais endormi
sous un laurier-rose,
beau comme les membres roses
d'une dame avenante
et parlant un langage courtois
ainsi qu'il sied à une poétesse!


Pendant ce sommeil bienfaisant,
libérateur des soucis,
j'eus la double vision
de l'antique Dieu Pan,
qui me consola de mes déboires
en me faisant réfléchir
à la vivante leçon
de sa propre condition malaisée,
et d'Homère, le roi des poètes,
le messager d'Hermès,
qui me confirma dans ma fierté
d'être vate par des temps vilains
et m'enseigna le bonheur de prophétiser,
à l'image du devin Tirésias,
l'Eternel, le Juste Retour des choses
et des êtres dignes d'être aimés!


DESTINEES DE SANG ET DE PASSION

RECUEIL INEDIT. JUIN 2005