Une Vie de Sardanapale


Depuis que j'étais un tendre
et frêle enfant tout blond,
déchiré pendant les nuits d'insomnie,
mères de froides sueurs
porteuses de cauchemars,
entre devoir chrétien
et païenne volupté,
je rêvais d'assigner,
si jamais j'atteignais l'âge de l'action,
à la vie du poète
et à toute vie princière en général,
comme fins le plaisir, le loisir
et l'absence de souffrances
relatives aux soucis de ce monde!


Mais, après m'être penché
sur les auteurs de l'Antiquité,
les seuls qui ont quelque chose
à apprendre à la jeunesse européenne,
prise en otage
par l'angoisse et le dégoût,
je sais que le modèle de cette vie
souhaitée par mon esprit,
s'était déjà incarné
en la personne du Roi assyrien Sardanapale
que d'aucuns identifient
au roi violent Assourbanipal!


Cependant, pour moi,
Sardanapale est tout monarque d'Orient
digne de ce nom
et de cette fonction
héritée des Déesses et des Dieux!


Instruit par cet exemple insigne,
je rêve désormais
de vivre une vie de reclus
dans un palais somptueux, à Ninive,
la capitale d'Assyrie,
loin, cependant, de la rumeur de la ville,
parmi des concubines
dont le corps est devenu velouté,
grâce au blanc de céruse
et autres soins
prodigués aux courtisanes
et de filer, entouré des plus belles
et des plus aimées de mes esclaves,
des étoffes de pourpre
et des laines délicates!


Ainsi, insensible aux blâmes
et aux moqueries
venant des âmes les plus épaisses,
je voudrais m'adonner
à la pratique de tous les plaisirs légitimes,
à l'exclusion des plaisirs
imposés par la névrose et la psychose
et qui seraient exempts
de toute rage et de toute manie
non inspirées par Bacchus,
le Dieu de l'ivresse!


Non, pour moi
Sardanapale n'est certainement pas
Assourbanipal,
ce souverain qui aimait trop la chasse,
mais le prototype
de tout Seigneur d'Orient,
tel que le concevaient les Grecs,
et dont on connaît des exemples
en des temps relativement récents,
dans les Indes, en Perse et en Turquie!


Je pense notamment à certains sultans
comme celui qui avait ordonné
de fermer pendant une journée entière
les portes de Constantinople aux marchands,
afin de pouvoir jouir,
en compagnie de sa Bien-Aimée,
de la musique du silence urbain,
ou à cet autre Grand Seigneur ottoman
qui aimait les femmes et les rossignols!


Certes, il n'y a plus
de princes fous
ou égoïstes à ce point!
Mais je pense que le but de l'homme
devrait être le plaisir,
seule voie par laquelle
les mortels peuvent
connaître le divin en eux!


Car qu'est-ce que l'apanage d'une Déesse
ou d'un Dieu,
le trait particulier qui les différencie
de la condition terrestre?
N'est-ce pas le plaisir permanent?


Donnez-vous pour fin le plaisir
si vous voulez vivre comme des Dieux!


Mais, plutôt que d'associer la volupté
à l'exercice d'un pouvoir politique
dont l'oppression d'autrui
serait la face cachée,
cherchez à atteindre cet Idéal
par la sagesse des Cyrénaïques
et de tous les philosophes
qui professent le plaisir
en tant qu'Essence de l'existence!


LA FEMME-COCOTIER

RECUEIL INEDIT. JUILLET 2005