Chant d'Août


Pourquoi donc me fuyez-vous
en pleine splendeur d'Août,
alors que le vin de Malvoisie
donne le vertige
et que les moissons de gloire
sont déjà faites dans l'opulente Thessalie
et que les troupeaux
se répandent bienheureux
sur les pâturages d'Epire,
oui, pourquoi me fuyez-vous
ainsi que des faons,
ô jeunes demoiselles,
ô jouvencelles dont la chair est
à point pour les caresses de l'homme
et dont l'esprit est mûr
pour les louanges des poètes?


Craindriez-vous aussi
le frémissement des arbres
sous la brise d'été
et les lézards paresseux
qui écartent les ronces pour passer?


Craindriez-vous aussi le bruit
que fait l'eau dans les canaux
qui arrosent les vergers méditerranéens
et la bonté du paradis
où on voit les anges
se promener tranquillement par les sentes
avec des rameaux sacrés
de myrtes d'Aphrodite dans les cheveux?


Craindriez-vous aussi
les chants des laboureurs
quand ils rentrent des champs d'or
avec leur faux à l'épaule?


Craindriez-vous aussi
l'éclat des trompettes du soleil
et les brisées que celles-ci
décrivent dans le ciel
comme si la simple ardeur de l'été
ne suffisait pas,
comme s'il fallait aussi son parfum
et sa musique,
dons de la Théotokos Rhéa
la Léontocéphale?


Pourquoi me fuir?
Suis-je donc un lion de Kabylie,
un loup du Pinde
ou un ours de l'Hémus?


Je ne cherche point
à vous broyer avec mes dents
ou à vous triturer avec mes griffes,
mais à vous remplir la si charmante tête
de chants pacifiques
et à vous enivrer d'odes bacchiques
et de chansons à boire!


Oui, je cherche à vous conduire
au lieu unique
où il fait bon s'aimer
sous les grands peupliers
dont l'haleine est un appel
à la concorde et à la paix!


Oui, je voudrais simplement
vous aimer
avec doigté, avec grâce, avec art
et insuffler dans votre humeur étonnée
l'amitié pour la vigne,
pour la brise qui souffle
de la terre vers la mer
et de la mer vers la terre,
pour les paysans qui vont à dos d'âme
et pour l'humanité entière,
cette inconnue qui fait peur
même aux créatures
les plus innocentes,
même aux jeunes filles
à qui leurs mères
donnaient, hier encore,
le sein!


C?UR DE BACCHUS

RECUEIL INEDIT. AOUT 2005