À la Recherche d'un Pays


Oui, et c'est là un aveu,
oui, je souhaite
que le bienheureux séjour de ma vieillesse
emportée par une musique
plus douce que les plus douces des Nymphes
et plus suave que le meilleur miel
que l'on puisse tirer du thym,
soit naturellement l'Attique,
ce lieu prédestiné
où tout poète occidental
aimerait à y reposer un jour,
car l'Occident y est né,
fort de ses splendeurs
et accablé de ses maux!


Oui, je voudrais voir ici
le terme de mes pérégrinations
et la fin de mes voyages dramatiques
à travers le firmament prométhéen
des Tragiques grecs et latins!


Mais si les Parques
me tenant rigueur de quelque faute
dont je serais inconscient,
m'interdisaient ce rêve de la maturité,
alors je voudrais aller vivre
au pays de la sainte Tarente,
fondée par le lacédémonien Phalanthe
et gardée par Poséidon-Neptune!


Le Galèse, appelé par les modernes Galaso,
y arrose les campagnes
célèbres dans l'antiquité
pour la laine fine de leurs brebis,
tout aussi fameuse
que la laine des moutons d'Attique
et que l'on recouvrait pour cette raison
d'une peau à des fins de protection!


Je crois savoir
que les printemps y durent longtemps,
que les étés sont secs,
les hivers doux
et que les automnes
y ont des tons de pourpre
qu'on ne peut oublier!


Et, chose essentielle pour un lyrique
qui tient à la douceur de vivre
comme à la prunelle de ses yeux,
le miel de cette contrée bénie
rivalise, ô prodige,
avec le miel de l'Hymette!


L'Aulon y est la montagne
la plus fameuse,
car des raisins merveilleux, dit-on,
y poussent,
aussi bons que les raisins de Falerne,
les meilleurs d'Italie!


Mais qu'en est-il
des jouvencelles de Tarente,
question qui la première
me vient à l'esprit?


Dois-je supposer
que, comme leurs aïeules laconiennes,
elles ont des grands yeux en amande
ainsi que des olives du Péloponnèse
et que la croupe de chacune d'elles
est un Falerne de marque réservée,
un vin que l'on tire
du fond du cellier
à l'occasion de la visite
d'un hôte ou d'une hôtesse extraordinaire,
ou bien un vin enivrant de Sicile,
servi dans deux ciboires
parfaitement lisses?


Tout donc semble y annoncer
un séjour heureux
sous le soleil magnificent
de la Grande Grèce!


En effet, par la grâce
de l'Eternel Retour,
aujourd'hui, comme sous Auguste,
la Grèce et l'Italie
sont les deux seuls pays au monde
où un poète d'Europe
peut mener encore une vie simple,
nourrie de violettes et d'olives,
une vie digne
des attentes de sa lyre
plus amène et plus affectueuse
que l'Aphrodite Erycine elle-même
et aussi charmeuse
que le Choeur des Grâces
entrelacées avec les Amours!


Certes, il y a la Provence!
Mais un vent trop violent
y affole le troubadour en été
et le mortifie en hiver,
car sa nature faite pour le paradis
ne peut supporter
les trop cruels frimas!


Reste Grenade!
Et qu'est-ce Grenade, si ce n'est
le malobathre syriaque
marié à la menthe hellène!


Et puis, les cendres sont à peine refroidies
sur l'âtre mal éteint
du poète fameux
qui périt dans cette cité
dans la fleur de l'âge!


Ce qu'il faut à un poète,
c'est une contrée
où les trompettes de la renommée
puissent être en même temps
les trompettes de l'Amour,
de la félicité de l'Olympe
et de l'innocence de la mer!


C?UR DE BACCHUS

RECUEIL INEDIT. AOUT 2005