Le Trayeur de Cavale


Je suis un trayeur de cavale thrace,
un buveur de lait de jument,
un noble indigent,
un prince qui mendie
auprès des petits,
un Scythe offensé et humilié
par la Fortune aveugle
aux voeux des héros!


Et je n'ai pas eu ma part de l'hyménée
et je n'ai jamais connu
la joie du mariage!


Pourtant, quoique vivant
comme un prêtre de Cybèle castré,
et malgré mon apparente barbarie,
c'est moi qui ai les moeurs les plus douces
parmi les Grecs et les Latins!


Bien que j'aie toujours été
veuf de femme
et dépourvu d'amis,
c'est moi qui jouis le plus profondément
des soleils des hanches
des jeunes épousées,
des lunes des huis de leurs jardins,
des Sirius de leurs opulentes chevelures
marron ou topaze ou jais,
des colonnes de l'Acropole d'Athènes
de leur nez droits,
du ciel nocturne ou diurne
de leurs prunelles,
des écarlates de leurs lèvres,
des rocs proéminents de leurs pommettes,
des axes pivotants de leurs cous,
des fines herbes aromatiques de leurs seins,
de leurs ventres qui dansent
la danse orientale
aux sons des flûtes de Phrygie
et, enfin, de leurs cuisses
qui, ainsi que des pactoles,
charrient des paillettes d'argent
et des pépites d'or!


Or, plus que quiconque,
je possède un art de vivre consommé,
élaboré par des décennies de patience,
et, seul de tous mes contemporains,
je sais me délecter à souhait
des couchers de soleil
et des levers de lune,
des étés ardents
et des hivers rigoureux,
des printemps orgiaques
et des automnes augustes,
car je demeure le seul
à connaître de l'intérieur
l'Instant qui passe
et jamais ne revient!


MERS DE VOLUPTE

RECUEIL INEDIT. DECEMBRE 2005