De l'Héroïsme amoureux


Aux cafés où je rêve,
éclairé par de vastes verrières
comme un enfant à l'église
qui aime sommeiller
à la lumière du grand vitrail,
on me dévisage avec le regard apitoyé
dont on considère les grands malades
ou les érudits dont les préoccupations
seraient fort éloignées
des préoccupations du peuple!


Alors, me viennent à l'esprit
ces vers du cher Baudelaire
qui, traitant de sa douleur,
chantait de la sorte:
«C'est une douleur très simple
et non mystérieuse,
éclatante pour tous!


En effet, je n'ai rien d'un Stoïcien austère,
d'un Chrysippe prolifique et ennuyeux
ou d'un Sénèque devenu
insensible à la souffrance,
ayant pris son parti
de l'absurdité des choses!


Je ne suis ni un ascète hindou
que la pratique du yoga
aurait libéré
de la chaîne des réincarnations,
ni un Bouddha
qui porterait un regard amer
sur le plaisir humain,
tenu pour illusoire,
ni un Père grec du désert,
se nourrissant de miel et de sauterelles
et fuyant les villes!


Je ne suis même pas un Platon
qui tiendrait en mépris les femmes,
leur préférant les imberbes
censés mieux symboliser l'éternité!


Et je ne suis guère un mystique espagnol
pour qui vivre serait un mal!


Or, ma douleur vient
de ce que toute ma vie
j'ai cherché à plonger
dans les magnifiques yeux d'une jeune fille
et à dormir sous ses saints cils,
comme à l'ombre de cierges
brûlant en plein jour,
sans jamais y être arrivé!


Rien donc ne me séparerait
de l'homme du commun,
si ce n'est que je cherche
moins la douceur d'un foyer
que l'hospitalité homérique,
que la finesse de l'Ange,
que l'extase du Fidèle,
que le plaisir du Sage,
que la gloire du Héros,
toutes choses qui conviennent
merveilleusement
à une dionysiaque manie,
à une passion panique,
à la musique des Séraphins
et à la beauté des Chérubins!


N'en déplaise aux Dogmatiques
de l'anti-héroïsme à tout prix,
je proclame que, même de nos jours,
l'héroïsme amoureux
déploie ses immenses plumes
d'oiseau de mer,
au-dessus des noires falaises glissantes,
nourrissant avec son bec
les humains qui s'étioleraient
si cette divine nourriture
venait, par malheur, à manquer
en pleine désolation moderne!


Je cherche donc, moins à subir
la présence dans mon sillage
d'une chair sans âme
et d'un corps sans vie,
qu'à me mettre sous l'autorité hégémonique,
souveraine et impériale,
d'une grande Prêtresse de la Beauté!


VASE A IVRESSE

RECUEIL INEDIT. JANVIER 2006