Eloge du Plaisir


Tu fais partie de ces belles Athéniennes,
ou, plutôt, de ces Athénaïdes
dans le vivier de qui
puisaient abondamment les empereurs de Byzance,
comme devaient le faire plus tard
les sultans ottomans
pour les jeunes Tcherkesses!


Rien ne trahit en toi
une origine barbare,
ni ta riche chevelure châtaine,
ni ton front délicatement bombé,
sans être trop bas ou trop haut,
ni ta bouche aux justes proportions
et d'un rouge tout corallin,
ni tes petites oreilles,
chacune percée d'une perle blanche,
ni, enfin, tes yeux
grands et noirs à souhait!


Et ton corps non plus
n'a rien qui soit déplaisant!
Comment ne pas faire l'éloge
de cette céleste croupe,
de cette divine hanche,
à la fois petite et grande,
petite ou moyenne par le volume,
mais grande par son étonnante élasticité
qui la rend toute crissante
et toute craquante comme la neige fraîche
sous la robe du soir
ou sous le pantalon moulant!


Et comment ne pas livrer
à l'admiration des générations à venir
ce sein compact de statue indienne
que Notre Sauveur Vishnou
eût adorer à caresser?


Cependant, cet hymne est destiné
à la réfutation des spécieux arguments
de ceux qui continuent,
comme nos Chrétiens naguère,
à confondre le plaisir avec la perdition
et qui s'en prennent aux jouisseurs
qu'ils accablent de leur mépris,
tout en ne tarissant pas d'éloges
sur la secte des ascètes!


Or, le poète, ce phare de l'Esprit,
ne jouit-il pas quand,
par un magnifique coucher de soleil
sur une île de l'Egée,
il voit passer les merveilleux nuages
de pourpre et d'or
comme l'étendard de Phénicie,
ou les jeunes femmes
aux fesses superbement nues
et qui frémissent en Août
sous la délicieuse brise marine?


Et ne jouit-il pas
quand aux aubes de Mai
il entend chanter mystiquement
les rossignols nouveaux?
Est-il pour autant un Béotien?


Certes, le troubadour n'est pas
un anachorète byzantin!
Mais, est-ce là une faiblesse
de sa part?
Que non pas!


Les ermites dont s'enorgueillissait
l'empire de Constantin le Grand
ne sont que les héritiers
des Cyniques
ou tout au plus des gymnosophistes hindous
que les Grecs anciens
tenaient pour des Originaux,
mais nullement
comme les plus grands des sages!


Oui, j'avoue être un Epicurien serein,
voire un Cyrénaïque,
pour qui le plaisir est
la clé du Paradis
et, en tout cas, une notion
hautement philosophique,
d'une extraordinaire teneur
en gemmes intellectuelles!


Or, la volupté que je tire
de la dégustation d'un plat fin et savoureux
ou d'une fiole pleine de vin de Chio,
est à mettre sur exactement
le même plan
que le célestiel plaisir
que je ressens à la lecture
du livre d'un auteur oublié,
ou à la composition d'une ode sacrée,
voire à la contemplation
d'une jeune beauté
flottante comme, dans un rêve impérial,
une bannière de satin de Chine
ou comme une houri
dans l'Eden musulman
et qui m'élève jusqu'à la vision
du Jardin terrestre
situé bien au-delà
du Paradis de Dante,
aussi bien par la puissance intime
qui s'en dégage
que par la Parole qui en découle!


LES TAMBOURS DE LA VICTOIRE

RECUEIL INEDIT. FEVRIER 2006