Le Réveil de l'Aède

Ô toi, la plus grande
d'entre toutes les belles
jeunes filles,
en te regardant au fond de tes yeux en fleurs,
je retrouve, associée à la rose rouge
de ton sein battant,
mon âme qui avait péri
sous les murs d'Ilion,
parmi les flammes
qui rongeaient les cadavres des Achéens
voués aux vautours jamais repus
et aux hyènes affamées
de chair palpitante de héros!


Seul mon coeur avait survécu
à la guerre de Troie
et Athéna l'avait même enfermé
dans un panier à ouvrage
qu'elle avait offert
à Zeus inconsolable!


Oui, comme Dionysos,
je suis descendu plusieurs fois
dans l'Hadès
et à chaque fois le Père
des hommes et des femmes
avait observé le deuil
pendant dix-sept jours pleins,
tant il en était accablé!


Or, depuis que tu apparus,
ô étonnante Cypris,
en chair et en os à mon coeur pensant,
mon âme ressuscita
comme une tulipe nouvelle
sur un pré envahi de marguerites riantes
et prit à nouveau
possession de mon corps
et de mon esprit!


Me voilà donc qui reviens
à la douce lumière terrestre,
après un long séjour
dans les contrées où le soleil se couche,
là-bas où les Grecs
placent le lieu de résidence
des héros et des héroïnes
après leur mort!


Rien qu'à te voir danser
dans un nuage de plumes d'aigle,
d'ailes de perroquet,
de blanches dentelles,
de soutiens-gorges en satin céleste,
de jupes pourpres,
de chevelures écarlates,
de barrettes d'améthystes,
de broches d'argent,
de colliers de figues sèches,
de lunes de la révolution,
de cigales d'or
et de rossignols de narcisses,
mon âme revient
à l'étape de la vie
dont la valeur,
à elle seule,
est inestimable!


Oui, après un repos forcé
de trois millénaires et demi,
je reprends le bâton du pèlerin
afin de me rendre aux lieux fameux
qui sont à la source de l'Hellade,
la Crète, la Colchide,
le Péloponnèse, Thèbes
et, enfin, Troie!


Aujourd'hui même,
assis devant une table de bronze
sur laquelle je joue aux dés d'or,
tel un nouveau Bacchus,
je fais le bilan
des années perdues
dans le centre enflammé de la Terre
et je me considère gagnant,
car j'ai été préservé,
grâce à mon long,
très long sommeil lucide,
de la sénilité qui frappe
l'humanité actuelle
que la jeunesse a quittée!

LA FIANCEE DES OISEAUX

RECUEIL INEDIT. FEVRIER 2006