Le Vent de Libye

Je suis le vent ardent de Libye
venu souffler
avec toute la fière puissance du Sud
sur les cendres encore chaudes
du grand feu d'antan
où le coeur de Dionysos
longtemps brûla
sans se consumer
et dans lequel Apollon enduisait
les cordes de sa cithare,
ainsi que ses flèches
qui toujours atteignaient leur cible!


Je suis le bois d'olivier
qui servira à ranimer
les flammes de naguère
et j'invoque tous les Dieux
et toutes les Déesses de l'Hellas,
afin qu'ils me viennent en aide
dans cette entreprise de corsaire incendiaire
qui lance des brûlots
contre les flottes altières
des plus puissants
des rois arrogants!


À l'heure cruciale où je parle,
toutes les grandes nations
de par l'univers infini
forcent la Bonne Fortune à leur obéir
et, croyant pouvoir se passer
même des prophètes,
se répondent entre elles
comme tous les coqs se répondent
pour annoncer l'aube nouvelle!


Or, l'aube annoncée
ne sera que la plus épaisse
des nuits,
la nuit même
qui, les yeux indifférents,
verra mourir la Musique
avec la Liberté!


Et des empires entiers
d'organiser la course
à la puissance artificielle,
dont il ne sortira rien d'autre
qu'une boisson fade,
fermentée dans le pressoir de la démesure
et dont le prix sera
la Beauté et la saveur même de la vie,
puisqu'il n'y aura
ni femmes ni hommes sensés,
à même de juger du goût!


Tout ce qui se bâtit
et se compose aujourd'hui
porte le sceau de la tératogenèse,
apanage des races
qui ont perdu la mesure des êtres
et des choses!


Entre les mains faibles des peuples récents,
tous les Grands Styles
qui tout le long des siècles
se sont disputé
la palme de la souveraineté,
seront réduits à une poussière
d'objets hétéroclites
qui seront entreposés
dans des bâtisses
aux dimensions d'usines!


Et plus les vagues anarchiques
de la laideur
se briseront sur l'antique rivage
du Grand Art,
plus ma poitrine s'élargira
sous les coups de la fortune!


Car le coeur qui bat dans mon sein,
puisant dans le luxe et la magnificence
de l'amour,
peut soutenir
même des batailles inégales
où, cependant, l'on ne peut moissonner
que la douleur,
tant sont inépuisables
les forces des ennemis
que je ne démonise guère,
mais que je ramène
à leurs vraies proportions
de mannequins d'osier ou de cire,
voire de simples épouvantails
aux viscères de bois!


Que l'on se rassure,
pourtant!
Ce ne sera qu'une heure dure à passer,
après, tout sera comme avant,
et tout sera à nouveau
Musique et Volupté!


C'est qu'Apollon,
de concert avec Dionysos,
veille sur les corps
comme sur les âmes!


Et, sous l'inspiration bienfaisante
de ces grands Dieux,
les âges ramèneront d'autres âges
où il fera doux de vivre
et de penser
et de rêver à la Volupté
que nous accordera
quelque jeune beauté
aux seins comme des palmes fraîches
poussant sur les îles d'or!

L'AIGLE DE MIDI

RECUEIL INEDIT. FEVRIER 2006