La Qacida Vraie
Ô amie aux grands yeux de volupté,
tu es un platane d'or
qui élève ses feuilles vers les Cieux
comme des paumes d'amour
et qui croît dans un champ pacifique
de lys de Cnossos!
Ô amie aux sourcils arqués,
tu es une rose solitaire,
une rose à cent pétales,
en présence de laquelle
j'ouvre mes yeux,
émerveillé,
puis les referme,
bercé par cette enchanteresse vision!
Ô Bien-Aimée au pubis de corbeau,
tu es un papillon qui vit
au milieu des fleurs
auxquelles il emprunte
ses admirables couleurs
jaunes, bleues et vermeilles!
Ô fillette pareille
aux étincelles de roses de l'Esprit,
entre dans mon jardin
plein de roses et de rossignols,
où des grillonneaux chantent
dans les buissons
et où les cigales ivres de soleil
s'attardent jusqu'à une heure avancée
de la nuit prodigue de prodiges,
perchées dans les orangers
et les citronniers embaumés!
Prends dans tes mains,
ô brunette aux mille ruses,
prends ce petit cigalon
et apprivoise-le
avec l'art consommé d'une jeunette arabe!
Ô Bien-Aimée à la voix de rossignol,
vois ce rossignolet comme il te ressemble,
blotti qu'il est dans ton sein!
Sens comme il tremble,
lui dont le chant tout à l'heure
forçait les portes du Paradis
et prenait les citadelles des Dieux!
Ô amie précieuse comme ma liberté,
vois mes granges remplies de froment
et, plus loin, sur cette douce colline,
ces vignes hautes sur leurs échalas
et qui dans un mois
donneront des grappes noires
pareilles à tes cheveux
artistement peignés!
Sache, ô ma Bien-Aimée,
que toute ma richesse est
le fruit de la divine inspiration
qui révèle les secrets,
jalousement gardés par les devins,
des Champs Elyséens
et rythme le va-et-vient des épousées
chargées de cadeaux
dans le paradis terrestre!
Est-ce, donc, sagesse en folie
que l'inspiration,
me demandes-tu en riant,
ô jouvencelle malicieuse
et si discrète?
Ô Bien-Aimée
dont la hanche se pâme
en prenant une attitude
pleine de langueur,
ni les sages ni les fous
ne se risquent à donner une réponse
à cette embarrassante question!
Apprends, pourtant,
ô docte jeune fille,
que c'est l'inspiration qui a fait
de mon désert
un jardin de roses éclatantes
et de palmes
merveilleusement verdoyantes!
Vois ces colombes
se nourrir dans mon oasis
et ces faucons qui s'abattent sur elle
à la recherche de mésanges!
Sens, ô ma délicieuse brune,
comme il fait bon vivre
dans mon domaine
et y dormir sur un lit
de plumes de perroquet
ou sur un hamac,
entre deux troncs d'arbres fruitiers,
en compagnie des grives
et des merles siffleurs,
renversé sous un ciel d'émeraudes
mêlées à des lapis-lazuli!
Or, c'est la vague besogne des Muses
qui m'a fait don
de ce verger opulent
et de ce somptueux château
où nous discourons,
allongés sur des divans de roses,
devant une baie d'azur,
sous un lambris de topazes
où sont suspendues
des lampes de saphirs bleus!
Abandonne-toi, ô ma suave Bien-Aimée,
à ce luxe
et rends désormais hommage
au loisir, à la volupté
et à la paix!
LES SERVANTES DU SOLEIL
RECUEIL INEDIT. JUIN 2006