L'Oiseleur des Femmes-Nues


Hier, dans la nuit enchantée de l'été,
m'est apparue en rêve
la grande Aphrodite d'or,
pareille à une nue sublime
dans le ciel haut
et démésurément profond de Crète
ou à Pasiphaé émergeant
de l'écume des flots
au fond de l'horizon vaste
de cette île bénie
d'entre les îles de notre mer!


Or, dans ce mien songe,
la Déesse voguait sur l'azur pur,
debout dans sa barque
constellée de perles,
et elle ramait avec des rames d'argent
en Rameuse de Babylone,
en Angelette d'Alighieri,
cependant que l'aurore
saupoudrait de rosée
sa hanche satinée!


Et elle planait haut dans la lumière,
aussi haut que l'Ida
ou que le Dirké,
ces monts fameux de Crète
qui ont nourri Zeus
et son Fils Dionysos
pendant leur enfance!


Suis-je, donc, le nouvel Ixion,
comme ce rêve laisserait supposer?


En effet, comme Ixion,
le Roi mythique des Lapithes
qui, croyant embrasser Héra,
n'étreignit, en réalité, qu'une nue,
moi aussi, en fait de femmes,
je n'étreins que des nues!


Et, comme chacun sait,
les nues, c'est comme la fumée parfumée
à la pomme
d'un fumeur de narguilé
dans un vieux café de Stamboul
ou comme la vapeur d'une étuve d'Orient,
ou, tout au plus,
comme une montgolfière de la Victoire,
acclamée par la foule en délire!


Et moi d'attribuer à chacune des beautés
qui passent par la taverne,
où quotidiennement j'accomplis ma tâche
d'oiseleur des femmes-mots,
tantôt le coeur tragique de la Malibran,
tantôt l'esprit antique d'Isadora Duncan,
tantôt l'âme impériale de la Callas!


Et je reconnais en toutes
la dame aux yeux de violettes de Parme
de Théophile Gautier,
c'est-à-dire Carlotta Grisi,
la plus éthérée des ballerines!


Je pense, cependant,
que ces catastrophiques erreurs d'appréciation
sont dues au fait
qu'il y plus de ciel
dans mon coeur
que de terre commune
et que je suis plus tourné
vers les réalités immédiates,
palpables et crues!


Or, par rapport aux dames,
je suis dans la situation malaisée
d'un fidèle à qui sa foi
lui fait voir Marie-Madeleine, le Christ,
et la Vierge Marie
dans une église sombre et froide et nue
du Nord de l'Allemagne,
où il n'y a point d'images!


Les femmes, c'est donc une affaire de foi,
une affaire, une fois pour toutes,
non d'aride raisonnement,
mais d'intarissable,
d'inépuisable sentiment!


Afin de repousser avec finesse
le reproche trompeur d'illusionnisme,
ne dois-je pas rappeler
que la plus substantielle des beautés
n'est qu'une nue
que le vent forme,
puis déforme,
et qui, après avoir existé une fois,
n'est plus rien?


L'OISELEUR DES FEMMES-NUES

RECUEIL INEDIT. JUIN 2006