Ode au Désir


Mon impérieux désir
de la femme la plus étonnamment stéatopyge,
celle dont la croupe arquée
est la plus magnifiquement
et le plus radicalement recourbée,
à la façon d'un yatagan preneur de têtes
ou de la faucille bénie des moissons
ou, enfin, du Croissant
de la religion d'Ishtar,
oui, mon désir qui impérativement tournoie
et tourbillonne autour de la rose
la plus épanouie
et la plus embaumée,
remonte aux antiques rites dionysiaques,
oui, à la primordiale Mania,
la Manie dont Bacchos
envahissait l'âme des fidèles
qui, tous ensemble, descendaient
comme une horde bestiale
des cimes des montagnes
vers les vallées,
en perpétrant des actes insensés,
sans mesure et cruels,
des actes qu'aujourd'hui
on appellerait barbares!


De ces turbulences de la foule dionysiaque,
l'acte d'amour était le naturel couronnement
se manifestant par des unions foudroyantes
entre Satyres et Ménades,
entre Bacchantes et Silènes,
ou entre Thyades et Pans,
à même la terre âpre et parfumée,
à l'heure sanglante de midi
où le soleil pèse sur l'horizon
ainsi qu'une pastèque
dans la main d'un Bacchant
ou d'un artiste moderne
qui serait à la fois un Apollon Citharède
à la fauve chevelure,
lui tombant sur les épaules,
comme s'il était Jésus le Nazaréen,
et un Aède sacré
de la Sainte Hellade
ou un ménestrel des jardins de Perse,
doublé d'un trouvère courtois
d'Île-de-France!


Or, inépuisable,
que dis-je, insatiable est mon désir
de la femme à la hanche bien en relief,
aux flancs puissants
d'acier germanique!


Car je ne suis point un décadent
qu'un corps de femme bien en chair
aisément dégoûte
et qui préfère la gloire incorporelle
d'une femme désarmée de ses avantages naturels
ou, pour ainsi dire, d'un squelette dévêtu,
à la splendeur charnelle et intellectuelle
d'une dame fessue
dont l'ample robe safranée
soulignerait les courbes,
elles-mêmes aussi extraordinairement amples
que les révolutions des étoiles,
que les vergers opulents du Hedjaz
et que les palais somptueux des Indes!


Ce qu'en poète naturel et libre
je dénonce, c'est le déclin de l'instinct
et son détournement
vers des fins dites productives,
que moi j'appelle des fins stériles
et arides comme l'esprit moderne!


Or, ce à quoi
la pauvre humanité contemporaine vise,
c'est à une existence sans arc à tendre
vers une cible précise et sensible,
vers un but défini!


Mais, sans carquois, sans flèches,
sans aigles et sans coursiers noirs,
comment l'homme et la femme
peuvent-ils survivre?


Survivre, c'est continuellement se dépasser
soi-même!


Et la voie qui passe par l'instinct,
n'est-elle pas le chemin
le plus sûr
vers une vie supérieure?


Voilà pourquoi j'attends toujours
la venue dans ma demeure
d'une dame pareille à une colombe
enceinte et fière!


Oui, je désire
à la fois vivre et vaincre!


Ne m'appelle-t-on pas
le Triomphateur,
comme Saint Georges,
l'Archange qui terrassa le dragon
de la bêtise et de la vilenie?


INSECTES DU BONHEUR

RECUEIL INEDIT. JUIN 2006