La Joie et la Liberté


Elle est déjà passée
l'heure zénithale!
Et voilà que je n'aspire plus
qu'à deux prunelles
et à deux mamelles,
la joie et la liberté!


La joie, cela consiste en substance,
après avoir absorbé
le maximum de lumière possible
et bu les roses réverbérations de l'aurore,
à manger des dattes d'Algérie,
cueillies par la tribu des Beni Mzab,
à l'ombre d'un figuier d'Andros
ou à faire la méridienne
sous un platane de Céphisie
ou à rêver du Touat,
vaste pays fertile au Sahara
et de Tombouctou, la capitale touarègue,
sous un blanc peuplier du Céphise
ou à sentir le parfum du futur
sous un palmier d'Attique
ou, enfin, à boire le café
sur une terrasse embaumée,
voisine d'une forêt de pins
et d'un jardin de palmes!


Quant à l'autre prunelle
ou à l'autre mamelle,
celle de la liberté,
elle ne se révèle
qu'avec le passage inexorable des années!


En effet, il est tout à fait déplacé
de recommander à un jeune homme
ou à une jeune femme
le détachement,
aussi merveilleux
et sain soit-il!


Car, quand on est dans la fleur de l'âge,
on n'aspire au contraire
qu'à s'attacher par des chaînes fortes,
qu'à jeter des racines puissantes
dans la terre encore souple
et malléable,
qu'à fonder des républiques,
qu'à conquérir des empires
et des coeurs!


Le détachement ne vient
balayer nos superstitions
que quand, après qu'a été atteint
ce point d'orgue
où la vie devient la plus haute
et la plus affirmative,
l'on commence à sentir décliner ses forces!


C'est, donc, une longue préparation
au trépas
et à la vie après la mort,
s'il en est une!


Non, je ne cherche plus
à tomber volontairement
dans la servitude d'une maîtresse!


Désormais, je me contente
de voir les jeunes épousées passer,
quitte à chanter après,
à gorge déployée,
leurs charmes les plus secrets
avec l'audace de l'âge mûr,
voire avec le cyrénaïsme
de la sénescence libertine,
tout en me désaltérant avec de l'eau de source
à même ma gourde
ou en buvant du vin à la persane,
avec des ménestrels amis,
à demi allongé sur un tapis précieux,
avec pour échanson
une brune aux cheveux châtains
et aux yeux brillants
comme des météores de nuit d'été!


Non, je ne veux plus
courir après vous, Mesdames!


Je désire seulement
boire témérairement votre beauté,
et c'est autant de gagné,
si c'est à votre insu!


Et de même que je respire
à pleins poumons
la brise de terre ou de mer,
de même je hume à pleines narines
votre parfum si doux!


CIGALES DE FEU

RECUEIL INEDIT. 30 JUILLET 2006