Le Rêve de Cyrène


Infiniment long est le chemin
qui va de l'idéal ascétique
au rêve cyrénaïque
et immense la distance qui sépare
ces deux visions du monde,
aussi énorme que la différence qualitative
entre une sombre après-midi d'automne
à New York,
vue de la cellule
d'un condamné à la mort par électrocution
et une après-midi d'été
dans l'Athènes antique
où les chiens halètent,
étouffés par la chaleur
et où Diogène le Cynique
prend le frais
à l'ombre d'un olivier,
si toutefois il n'est pas en train
de s'accoupler en public
avec quelque courtisane bien hanchée
et dont la chevelure châtaine
cache la nudité!


En effet, embrasser l'idéal religieux,
c'est adhérer au parti des orgueilleux
et des présomptueux
qui, se croyant supérieurs
au reste de l'humanité,
voire à l'univers des animaux,
mortifient leur chair
et se soumettent de plein gré
à des indicibles tortures
du corps et de l'esprit,
afin, uniquement, de tuer en eux
l'être sensuel,
c'est-à-dire l'homme et la femme
selon la nature!


Or, ce dernier et cette dernière
sont pour les sages de Cyrène
la sagesse même!


Car, modestes, ils respectent
l'oeuvre de la nature en eux,
donnant libre cours
à leurs instincts sensuels
et célébrant tout au long de la nuit
l'amour libre!


C'est que le sage vise plus haut
que l'ascète sectaire!
Son ambition est d'obtenir
la totale tranquillité de l'esprit
et l'auguste paix de l'âme,
chose impossible si le corps souffre
de douleur, d'inconfort
ou de privation
et si l'esprit est préoccupé
par des affaires de lucre
ou par des activités publiques!


Or, ce qui différencie le Cyrénaïque
de l'homme quotidien,
c'est son refus d'embrasser un métier
et de se soumettre aux lois de l'Etat!


Oui, il est libre et seul
parce qu'il vit selon la nature!


Il ne dit pas non à la vie,
il ne ferme pas la porte
à l'opulence voluptueuse,
pourvu que celle-ci
ne soit pas une cause d'agitation vaine
par l'effort qu'il faut consentir
pour l'acquérir
et par le souci de l'entretenir!


Mais il refuse la civilisation
et rejette les opinions de la multitude!
Et voilà pourquoi il est sauf!


Oui, tout homme heureux est sage
et tout homme sage est fidèle
à la Terre!


Et voilà pourquoi
Aristippe de Cyrène
était un sage!


Oui, vraiment cet homme
vécut comme les oiseaux du ciel
qui n'amassent pas dans des greniers,
ne s'inquiétant pas trop
de ce qu'il mangerait le lendemain
ni de l'habit qu'il allait revêtir!


Car, il s'habillait
comme les lys des champs
et jamais Salomon ne connut
une telle magnificence!


C'est qu'il était sage,
sans pour autant avoir recours
à l'autocastration,
telle que la pratiquent
le vulgaire avec mesure
et l'ascète ouvertement,
avec ostentation et démesure!


LE REVE DE CYRENE

RECUEIL INEDIT. SEPTEMBRE 2006