La Sagesse d'Horace


Manger, boire, se réjouir
et mourir,
voilà un assemblage heureux de mots
où réside, peut-être,
le secret de nos vies!


Et, s'il y a un noeud gordien
à trancher
à la façon d'Alexandre le Grand,
c'est bien la vaine énigme,
impossible à résoudre,
de l'Enfer, du Purgatoire et du Paradis,
à cause de laquelle
tant d'hommes, de femmes et d'enfants,
tout au long des siècles,
ont souffert follement,
intolérablement!


Et le grand Sardanapale,
ce Roi des Rois,
savant en volupté
et docte poète,
de chanter comme il suit:
«Mangez, buvez et jouez,
et, puisque vous vous savez mortels,
emplissez-vous des délices
du temps présent!
Car, après la mort,
il n y a point de plaisir!»


Et le divin Horace
de donner ce conseil
en des vers immortels:
«Cueille le jour
et ne fais aucun crédit
au jour suivant!»


Quant à Salomon,
ce sage d'entre les sages,
il affirmait qu'il n'y a rien de bon
sous le soleil,
si ce n'est se nourrir,
se désaltérer
et s'ébaudir!


Ô jeunes gens dans la fleur de l'âge,
et vous, jeunes femmes
dans votre douce pubescence,
ne méprisez pas
les suaves amours de rossignols
ou de fauvettes,
ni les danses, ni la musique,
ni les jeux innocents!


Nous tous, jeunes et vieux,
banquetons dans l'allégresse
comme le faisait,
le si austère par ailleurs,
Zénon le Stoïcien!


Oui, banquetons couronnés de roses,
avant que celles-ci
ne viennent à se faner!


Et, surtout, ne nous préoccupons point
du lendemain,
car le lendemain, nul ne sait
de quoi il sera fait:
laissons-le s'inquiéter pour lui-même!


Oui, parfumons-nous
des essences les plus rares
comme les plus communes!


Oignons-nous de myrrhe,
aromatisons notre corps
de fleurs d'oranger ou de citronnier
et de jasmin de Chio!


Puissions-nous sentir
comme la rose rouge
ou le coing de Crète!


Enivrons-nous de vin de Chypre
et de Malvoisie,
de Sicile et de Toscane,
de Portugal et de Catalogne,
d'Aquitaine et de Bourgogne,
de Rhénanie et Bavière,
de Bohême et de Hongrie!


Et laissons-nous fléchir,
pour une fois,
par les caresses d'une courtisane,
caressons à notre tour
la croupe rebondie de notre Bien-Aimée,
oui, osons porter la main
sur sa hanche
semblable à un essaim d'asphodèles
ou à un ballet de torcols
ou à un manteau de blanches violettes
ou à un troupeau de brebis
paissant sur un coteau d'Attique
ou à une armée de chérubins
ou à une nue d'été
faite de fées, de sirènes,
d'océanides et de dryades
et d'anges du Paradis musulman
et de houris des jardins terrestres
d'Epicure!


Chassons de notre coeur
toute crainte pour les suites
et disons-nous à la fin de chaque jour
que «nous avons vécu!»,
comme si la fortune
nous avait assez comblés
et comme si ce qui était né
de cette heure fugace
ne devait jamais se perdre!


LE REVE DE CYRENE

RECUEIL INEDIT. SEPTEMBRE 2006