Le Poète-Dieu


Il est sous le ciel un trésor
dont je voudrais jouir
avec incontinence,
de préférence à tous les autres biens
que pourraient m'offrir
la vaste terre
et l'univers dans sa totalité,
et ce trésor n'est autre
que celui qui consiste
à rêver tout seul!


En effet, qu'il est bon de rêver
dans un temple,
sous une voûte de lions de marbre
ou devant une mer violemment bleue
et très agitée
ou, au contraire, devant une onde calme,
pareille aux miroirs
où les belles regardent
leurs prunelles et leur teint
ou au bord d'une rivière
en regardant passer les cygnes
ou couché dans une molle prairie,
à l'ombre des alisiers
ou assis sur un banc public,
à côté de personnes
dont l'âge ou la qualité
m'autorisent à me livrer
aux secrets plaisirs de la contemplation
ou sur une terrasse de café
où rêvasser une, deux, trois heures
au travers d'une haute verrière!


Mais rêver de quoi, de qui?
-De voyages parmi les blancs nuages
ou de séraphins qui montent
et descendent l'échelle de Jacob
ou de la face claire
de la Suprême Déesse
ou de la dame
à la hanche de majesté
et aux grands et brillants yeux
et dont je suis amoureux,
non en raison de sa beauté,
après tout infailliblement passagère,
mais en raison de son esprit
qui est à la fois
l'esprit le plus proche du mien
et le plus pur ornement
de son pays,
à l'instar du Parthénon, du Panthéon
ou de l'Alhambra
et la parure même du monde,
à l'image du soleil, de la lune
et des étoiles!


Est-il, donc, permis de rêver?
Rien de plus périlleux, en effet,
que de rêver!


Dans un siècle
et à une époque
où seul est reconnu
le devoir d'accomplir
une tâche d'ennui stipendié
et où seuls sont pris en compte
le droit d'agir sans raison,
par coutume et caprice
et afin d'obéir aux modes du moment,
le droit de coucher des phrases
sans queue ni tête
et le droit de peindre le néant
sur les surfaces rugueuses
de l'intégrale absence de rêves,
il est dangereux de rêver
et cela peut constituer même
un acte délictueux
qui pourrait mener,
celui qui en l'auteur,
devant la Haute Cour de l'Injustice
qui décide de la gloire des personnes
ou de leur condition obscure!


Or, rêver avec force,
rêver avec puissance,
c'est créer un univers
dont les lois sont des Déesses,
des Nymphes et des Faunesses,
et c'est, donc, être soi-même
un Dieu!


Car rêver,
est vraiment
le propre des Dieux!


LE MIROIR ARDENT

RECUEIL INEDIT. OCTOBRE 2006