L'Apologie du Poète Immoraliste


Ô Souveraine
à qui je suis lié
par une guirlande de roses,
il est vrai que mon désir de ta chair
trouble sans le vouloir,
mais momentanément seulement,
l'océan de ton âme
et tant en rend opaque
la cristalline onde
que je ne puis y contempler
ta chère image sainte!


Cependant, je voudrais me défendre
contre ce reproche
que l'on fait habituellement
au sage, d'être un corrupteur
en t'invitant à venir passer
des moments inoubliables
dans ma cité d'or
aux larges avenues
bordée de canneliers
et où habitent tous les solitaires
qui vivent dans les nuées
de la pensée!


Une fois que tu auras franchi
le seuil de ma maison,
je te ferai mes présents d'hospitalité,
comme un seigneur
à une seigneuresse!


En effet, je te ferai servir,
par les palmiers vivants de mon jardin,
du poisson vif
et des mangues d'amour
et je te verserai moi-même à boire
un vin savoureux,
tiré de ma vigneraie
et dont, aussi bien le cépage
que le procédé de fabrication,
sont mon apanage!


À notre festin seront présentes
des jeunes femmes de haut lignage
et des courtisanes raffinées!
Un choeur de cygnes
agrémentera notre soirée
en chantant des odes de Sapho,
cependant que des rossignols
feront neiger sur nos têtes
des pétales de roses!


Puis, nous évoquerons ensemble
Aristippe de Cyrène,
ce prince du plaisir,
ainsi que Diogène de Sinope,
le plus téméraire
et le plus extravagant des sages,
et, à cette occasion,
je présenterai ma défense
contre l'odieuse accusation de légèreté,
voire d'immoralité,
qui tant me pèse!


Je rappellerai, alors,
à toi qui m'écouteras,
qu'en éperonnant la haute nef
de ton corps ardent,
c'est-à-dire en te faisant l'amour,
je ne cherche qu'à emporter
le trophée de ton coeur passionné!


Car je sais que tout
le mystère de la vie humaine
prend sa source
dans la chair des jeunes filles nubiles
dont la bouche enchantée
respire la brise merveilleuse,
suave et parfumée
de l'Arabie Heureuse,
dont les aisselles sont irriguées
par la céleste rosée,
dont le sein prépare
des fleuves de lait
débouchant doucement
dans l'Infini de la Conscience
et dont la vulve est faite
de feuilles roulées
du rosier d'Aphrodite,
car elle renferme en elle
l'annonce de la venue de l'Amour!


Car, c'est dans leurs orifices
les plus secrets
que réside l'âme des filles!


Et, c'est cette âme
qui me sert d'ellébore
contre la folie qui me guette
et dont m'accable
la foule des faibles,
semblable à la fange des rivières!


LE PONT DU SOLEIL

RECUEIL INEDIT. OCTOBRE 2006