Le fin lettré


Multimilliardaire marchand
de naïades,
ce poulain de la neige,
est issu de la branche
la plus illustre
des cyprès mystiques!
Confortablement porté,
à dos de bise
et de tramontane,
sur toute latitude nord,
poursuivi par les printemps
en raison de sa stupide
et cruelle cupidité,
recherché par les automnes
pour le luxe de ses demeures
et l'excellence de sa table,
toujours dressée,
immortalisé dans les âcres
et sublimes onguents des grèves,
appelé par la largade
aux glaciers antarctiques,
aux plages noires,
aux volcaniques yeux,
aux îles immergées en haute mer,
aux lagons, aux coraux,
aux estuaires glorieux,
pendant toute la journée,
et jusqu'après le milieu de la nuit,
sur les terrasses béantes
des monastères maritimes,
sur les proues de nacre
des miradors à vitrage versicolore,
sur les collines,
les buttes artificielles,
les parapets et les balcons avancés,
par les baies dépensières,
par les fenêtres éminentes,
par les jalousies espagnoles
et les persiennes,
il se livre
aux plus bizarres des trocs,
aux plus illicites des pratiques,
aux plus illégaux des trafics!
Précipités du haut
du plus ardu des négoces ardents,
comme une giboulée d'Avril
et comme une avalanche de Mai,
ses vers,
car, on a beau dire,
c'est un fin lettré,
sont des colonnades graduées
et superposées
de bougainvillées privées,
et des balafres de grenats de Bohême,
noyées en plein Atlantique central!
Vous qui passez par là,
méfiez-vous de ses airs
narquois et sereins!
Son activité,
trop méthodique,
je vous le concède,
n'est pas sans rappeler,
toutes proportions gardées,
celle, que vous croyez
peut-être épuisée,
de la terre dans son invisible
mouvement autour de son axe!
Détournez-vous plutôt de lui,
comme de ces falaises
écrasantes que l'on rencontre
aux archipels austraux,
ou comme d'un phaéton
par trop obsédant,
ou même comme de cette
multitude de mâts de cocagne
qui, malgré votre défense
expresse et réitérée,
surplombent les rades,
où cet après-midi encore,
vous n'avez rien su découvrir,
si ce n'est un sommeil doré!


LE GRAND RETOUR

PUBLIE CHEZ L’AUTEUR EN OCTOBRE 1980