Le plasticien des sens


Marinier du détroit des couleurs,
passeur du fleuve des sons,
pâtre du troupeau des songes,
petit ange rose blessé
aux lèvres d'une flûte
d'astronomie,
blanc héron du génie habile,
faucon migrateur descendu
dans un matin éternel
de colonnes d'Hercule,
le plasticien des sens,
semblable à la lune,
quand elle plonge
dans le crépuscule
du solstice d'été,
se baigne, le long des jours,
dans les patios,
accrus de zéphyrs,
de la bonne Espérance,
parmi les dattiers glissants,
les platanes de Cachemire,
et les palmiers d'or,
gras comme des pumas
plantureux,
où,
accompagnées de grives
et colibris de Colombie,
et de poules faisanes de Colchide,
pendant la saison des pariades,
neigent les jeunes filles nubiles,
en corne, en cornaline,
en ivoire, en cristal de roche
et en serpentine d'amour!
Maître des roses suaves,
maître des flottes du couchant,
prince des éclaircies,
maître des clés
de la roue des paons,
maître des baies
de la dentelle des corps,
tribun des camps résurrectionnels
d'une flèche de tout désir
visant au centre
hydrogénique du monde,
il propage,
dans la guitare à douze cordes,
le vert profond d'équateur
et l'émeraude miraculeuse,
l'argent massif et le jade abysmal,
dans les clavecins de France,
l'orange ou le saphir
des écailles d'océan,
et le bleu de Pérou
ou le bleu d'émail,
dans les clavecins
de la Lusitanie toute proche,
les chaînes scintillantes
des diamants oscillants,
dans le baiser infime des violons,
les nuages couleur
de griotte confite
des tourterelles d'Asie,
et le vaste galbe irisé
des mouettes américaines
du Pacifique,
dans les mezzanines des luths,
relevés de croton,
le bois de Madère
des jeunes caravelles
amarrées au point de midi,
dans les orgues tudesques,
le tango du nombre avec la puissance,
et le quadrille des archanges
avec les mulâtresses,
et dans les violoncelles,
la grave lumière irradiée
par les torses flamboyants
des montagnes,
des ruisseaux et des cascades,
par les meules de pagodes mûres,
et de mosquées denses à souhait,
et les jets de pavillons peints
au rouge écarlate d'Argentine,
au rouge sang d'Espagne
et au rose d'Afrique!
Aidé, ainsi, des musiques
les plus essentielles,
il obtient dans la guitare
à six cordes,
sévillane ou grenadine,
l'exacte quadrature
du cercle du printemps!
Il place, alors,
en exergue de lui-même,
cette vitale certitude
dont tant il se réclame!


LE GRAND RETOUR

PUBLIE CHEZ L’AUTEUR EN OCTOBRE 1980