Le navigateur

Fils bien-aimé
du raz de marée
et de l'oeil du cyclone,
par excès d'amour
sacrifié aux grandes eaux,
formé aux écoles salvatrices
de l'équatoriale liberté,
souleveur de vents compacts
comme le granite
de sa voûte crânienne,
persécuteur d'orages puissants
comme le torrent
à jamais inassouvi
de son corps sensuel
et naïf,
renverseur de courants
de races lourds
comme des continents,
monté sur des jaguars célestes,
armé de nébuleuses écarlates,
buveur d'Amazonies
catapulté de la pointe du Brésil,
par la volonté de dieux pérégrins
au verbe grandiose,
immensément aspergé,
en un baptême inouï,
de deux, et, peut-être même,
de cinq océans de virginité,
naufragé de l'Asie,
se débattant parmi
les fraîches et abruptes
montagnes de volupté,
et les rivages invincibles,
tel un Laocoon de tympan
luttant avec les cobras royaux,
avaleur savant de cratères bouillants,
cracheur embrasé
de volcans enneigés,
le navigateur traverse
les cônes d'éclairs
et les absides de flammes,
les myriades de jets d'eau
naturels,
et les millions de brisants
de lave,
les salles raffinées
des très hautes cataractes
assourdissantes,
les foules humaines,
belles comme des forêts,
tantôt tempérées,
tantôt tropicales ou de nuages,
et les strates de l'air,
infestées d'anguilles flexibles
et de toisons,
effroyablement épaisses, d'Astarté,
en forme de coeur d'oiseau
de cordillère,
avant de pour toujours fondre
dans le choeur de l'eau,
des flores et des faunes
surprises par l'averse divine!
Bénie soit sa face hirsute,
sa face grillée par
quatre-vingt mille
révolutions d'embruns,
de houles, de mascarets,
de tempêtes, d'ouragans,
de typhons et de tornades,
dévorée par les guêpes
des contrées lointaines
et les vampires des pays nouveaux,
dévorée et consumée
par le rêve éveillé
des sirènes coloriées
arborescentes de toute provenance,
et des fées morganes ligneuses,
dont le nombre mobile et bleu
le jette dans une stupéfaction
durable de ports merveilleux,
illuminateurs de soi-même,
gouvernés è fort coups de poèmes de sphinx!

LE GRAND RETOUR

PUBLIE CHEZ L’AUTEUR EN OCTOBRE 1980