Le maudit


Fils de soleils inconnus,
taureau-soleil lui-même,
grandi aux terres de feu,
de bonne heure monté
aux Guatemalas,
ennemi sincère et imprudent
des peuples porteurs
d'idées et créateurs d'alphabets,
-par eux d'ailleurs détesté
pour sa franche félicité
illimitée-
il est le compagnon efficient
de tout bon dormeur
et de tout égaré,
ou réputé tel,
ou irrepenti,
offrant la constance
et la solidité
d'un fleuve qui bat
les berges amies!
À toute allure fuyant,
à la façon de Don Juan Tenorio,
devant la nouvelle prêtraille,
cent fois plus abominable
que toutes ses devancières
réunies,
et la foule impitoyable des femmes
en transes de haine,
couvert de la poussière
flamboyante des rues,
et gardant au palais
le goût de toutes les plages
connues du ciel,
comme un nuage blanc,
libre sur tous les horizons,
il s'écoule dans les flûtes sveltes!
Poussé en avant par les fatalités
complices aux rites telluriques,
au moment même de la débandade,
il s'élance,
au son des tambours et des timbales,
vers des nouvelles licences
qui jetteront le masque
à cette interdiction
d'honneur, de représentation
et de parole qui le frappe,
ourdie comme une toile
d'universelle araignée,
de Naples à Séville,
d'Ajaccio à Londres,
ou, tel un chevalier
à la figure attendrie,
il se jette dans un astre déchu,
en un geste de suprême salutation,
ou se porte à la rescousse
de quelque Dame des eaux sombrante,
aperçue de trop loin,
et déjà engloutie
par le silence d'énigme,
ou vole au secours d'un printemps
qui, devenu léger,
meurt à la vallée!
Et tournent, autour de lui,
le fer, le sang
de la vengeance, de la guerre
et de la calomnie,
-les délicieuses adversaires-,
tournent les plus gros grains de sable,
tournent les amphithéâtres de bois
des vieilles arènes
de là-bas,
et cette ville belle
à vous couper le souffle,
tout entière teinte de henné,
comme l'ongle du doigt de pied
d'une souveraine maîtresse!
Ô lui,
châtiment des îles,
justice des places de ville,
noyau de la vie,
moulin à moudre
les versants fertiles,
demi-milliard de toupies jaunes!
À lui,
à lui,
à lui exclusivement,
à lui, seul méritant,
toute,
toute la joie d'amour!
À lui, les essaims de fleurs
de Juin!
Pour lui, les épanchements d'étamines
et les effleurements de pistils,
et les effusions de musc!
En son nom, les libations
de rhum et de café,
les offrandes de peaux tannées,
de sel gris et de tabac brun,
les dons de barques,
d'euphorbes et de guitares obligées!
À ses risques et périls,
les droites litanies de l'hiver!
De lui seul,
tout discours gravé dans la flamme!
Attendu aux tentes incarnat,
tapissées de perles odorantes,
imposé par la nuit couverte
de plumes de faisans de Chine,
secrètement voulu
par les poitrines superbes,
pourra-t-il toujours vivre,
comme il le souhaite,
de la seule industrie des cascades,
entouré d'aras et de totems
aux couleurs vives,
avec, pour domestiques,
les clapots imperceptibles
et symétriques,
et s'éteindre après,
couché sur une nappe
d'hyacinthes
et d'oranges royales?


LE GRAND RETOUR

PUBLIE CHEZ L’AUTEUR EN OCTOBRE 1980