Le Grand Retour
Bénies soient
les forces de prospérité,
ces bonifiantes forces
qui ont fait aux hommes
le don en or brutal
des grandes Indes,
fibule triomphale des peuples,
vanne régulatrice de la vie,
riz guérisseur du guerrier
à la chair endolorie,
grenier ardent du rêve
de la réalité,
joug de flûtes incomparables,
jonchée de boeufs,
quadrant de taureaux,
pont d'étendards,
estuaire de torches,
cataracte de soleils,
ovaires d'étoiles,
colonne à quatre branches
des hourras des fils de la terre
aux principes constructeurs,
arche de solstice
des Hindoustanis,
comme un disque de cristal
en mouvement,
narine de l'univers,
plaine grande
des engendrements,
calme firmament aux germes
splendides,
berceau des amants loués
par l'été maternel,
lit des jeunes gens
sur qui pose la faveur
des déesses mordorées
aux seins adolescents,
comme une avalanche de plomb,
comme un portage d'étain
dans la canicule,
comme un engrangement
de blé massif,
comme une manne de cymbales,
comme une dîme d'ivoire gras,
comme une vendange de bronze,
comme une moisson de marbre,
comme un Simoun de cuivre!
Ô Inde,
racine de tout hommage,
mesure de toute Odyssée,
balance de toute oeuvre!
Toi, la Maîtresse,
toi, la matrice,
toi, la glèbe
qui nous confond et rougit,
et aplatit nos faces centuplées,
inclinées sur ton horizon,
nos faces hâlées capitanes
où, sans discontinuer,
coulent les images de palmes!
Que les Occidents et les Russies
coupables déposent à tes autels,
selon la posture exigée
de la caste des négociants,
leurs offrandes,
aussi inattendues que tardives!
Qu'on te cite en exemple
dans les prières publiques!
Que les gonfaloniers saluent
la crinière de tes noms
par des mêlées répétées
de drapeaux
sur les places des marchés
des pays principaux!
Qu'il soit toujours
fait mention de toi
dans les invocations
gravées sur la pierre
pacifiée!
Que ton haleine brûlante comme
le fer brûlant
arrête,
pour quelque temps encore,
les chrétiennes,
trop chrétiennes,
inamoureuses émanations!
Vous que la force
précocement abandonne,
anciens étouffeurs d'aube
et meurtriers d'aurores gratuits,
fourbes vilipendeurs
de vous-mêmes,
écoutez,
écoutez ce poumon
comme il regorge de sang!
Qu'il rythme désormais
le souvenir douloureux
de votre santé perdue,
comme le dernier poème
qu'il vous sera donné
de connaître,
comme un dernier récit
de périple,
doublé, selon
l'intransgressible règle,
du dernier récit amoureux
possible!
Bénies soient les forces
de fécondation,
hindoues à leur zénith,
qui, par le bien impérissable
d'Asie,
nous ont accordé
la gloire septième d'Angkor,
milieu de l'épopée,
nouvelle et éternelle,
des Khmers,
voleurs de galaxies,
race élue parmi les races
prédestinées,
l'époustouflante pente d'astres
de Cyrus,
le conquérant de l'ouragan,
l'harmonieux belluaire
de la nuit,
la ronde bachique générale
des Hautes-Amériques,
menée par le Guatemala,
Guatemala de nos implorations,
la belle et l'originelle
et l'astucieuse
et la follement libérale
démesure de Sumérie,
aux trois mille festoyants
détours,
comme un lingam géant
sortant à peine
d'une vertigineuse victoire,
le pas simultané
du Pérou,
du Tibet,
du Japon et du Mexique passé,
tous quatre immortels,
le bienfait ineffable de Bénarès,
chant sine qua non du monde,
rayon irréversible
de rossignols uniques,
delta de violons
immergé dans une mer constellaire
d'améthystes et de citrines,
la prime cité et l'ultime,
l'une et la merveilleuse,
la tête du printemps
mirée dans la porte de l'automne,
-ô Bénarès,barque d'oranger,
citron de lune,
dans une hiérogamie nocturne
de soufre et de cornaline-,
la mémoire suprême de Tenochtitlan,
émeraude troisième de la nostalgie,
palanquin de topazes inaltérables,
à jamais traversant la bague d'émail
du matin,
coeur volant des eaux d'immortalité,
notre antérieure rue
et notre voie future,
ô toi, impératrice des villes,
égale des atomes du ciel,
toi, que les dieux chtoniens,
en vain, jadis, noyèrent dans les enfers,
Tenochtitlan, Bénarès,
toi, mon lapis-lazuli,
toi ma pierre turquoise,
vous, mes deux précipices d'aimant,
vous, mes deux cadeaux de fiançailles,
l'amitié de la Provence antique,
effluve échu parmi
les rudes peuplades du couchant
de l'intangible grâce de l'Hindoustan,
le diamant d'Andalousie,
Andalousie de nos transmutations
obtenues,
Andalousie de nos
lauriers-roses fulgurants
comme une double pomme
composée de stalactites,
arraché au trésor du Pendjab
de par Notre-Dame l'Espérante
de Séville,
et au prix du sang des gitans,
répandu sur toute la verticale
lumière supportant
la Sierra Morena,
la bouche immaculée de Grenade,
archipel d'amandes amères,
nonchaloir de figues molles,
col de cratère
aux fenêtres nombreuses de vin,
baiser du soleil solide
dans le soleil liquide,
tirant son suc décisif assassin
des sources d'inépuisable délice
du Gange géniteur,
diffusé dans notre corps
comme une vigne grimpante
de vaisseaux, d'artères et de veines,
la parure de Murcie,
fille gracile,
aux membres assouplis
à l'extrême,
de l'Orient espiègle,
tournoyant sur lui-même
à une vitesse inégalable,
redoutable vengeur de séraphins,
doué pour l'innocence,
fait pour l'amour,
le ramenant d'où les sottes nations
périodiquement le bannissent,
le réparant,
durablement le préservant,
exhalant la liberté,
comme une femme exhale
le musc de sa poitrine,
portant,
lié ensemble avec l'attirance
réciproque des corps
bien formés et entre-émerveillés,
le génie en personne,
comme un double colibri
posé au sommet du chignon,
d'une jeune cingalaise,
dévoilant l'ovale variable
des adorations,
comme un héliotrope d'Ishtar,
comme une couronne de biches
apparaissantes et disparaissantes
en carrousels symétriques,
déployant avec adresse
le jeu de cartes des hiérarchies,
comme une bouche naissante
de bien-aimée,
et comme un tribut
de poissons potelés d'Euphrate
au Pharaon-Bélier,
consigné dans le Livre des épousailles,
la terrestre et la cosmique,
la double et l'uniforme,
la terrible bravoure d'Islam,
tenant dans la paume
de sa main droite
la fortune inexpugnable
de Bagdad,
pêche de la promission,
perdition des rubis,
collier palpitant
à huit rangs changeants
de houris,
baignés du noir le plus
honteux,
rosaire des prétendants
bistrés par les brûlures
quotidiennes de brillants,
fontaine de calices
écrasés de violettes
à trente-trois étages
d'arômes,
fleur perlière de lotus
échappée des lèvres,
dégoulinantes d'indulgence,
des danseuses de perles
de la mer Rouge
et du golfe Persique,
aux croupes délurées,
éblouissantes de vastes
ondoiements,
tantôt spacieuses
abondamment
et souverainement
saillantes,
en albâtre princier
semé de nymphéas
de fécondité à perte d'aise,
tantôt ramassées et dures,
en ocre brune,
et où,
enchaînement de cigales
et déchaînement de coucous,
anté-natale langue
du charme,
mystère dionysiaque
du plaisir d'amour croissant,
fracas de masses de désir
s'accordant
comme des anneaux de serpent
dans l'hymne vital,
naissent les sens
et leurs nombres,
pâmoison des bosquets
du paradis,
balancement,
total déhanchement,
imbrication, emboîtement,
flexion, torsion,
occlusion d'aromates,
profusion de courbes
d'abricoteraie,
abricoteraie de nos
naïves promiscuités,
fumée affaissée
des philtres pourrissants,
absolue monarchie
de l'universelle fascination
aux bannières sassanides,
dictature à perpétuité
de l'opale de feu,
théocratie illimitée
du fard et du henné,
basée sur le duel superbe
de flambeaux mâles
et femelles,
inextinguibles,
imposée par l'aristocratie
en acte des prêtresses
et des épousées
les plus élancées,
despotisme outré
de l'appas
qu'embrase le torrent
de paroles,
insensées et chères,
des filles de Chaldée,
pontificat de la pourpre,
lancé comme une invitation
au lubrique voyage,
par le poète-dieu
et la poétesse-déesse,
aidés du choeur chatoyant
des promis et des promises,
vêtus de tuniques carminées,
à la foule induite en extase
par l'abus des huiles
érotiques,
ruée vers la grève coloriée,
pour le typhon d'allégresse
des premières étreintes,
et, après, pour la tranquille
jouissance des richesses d'Adonis,
des nouveaux péchés charnels,
vivaces comme les ibis rouges,
doux comme des repas de lions,
et majestueux
comme des jaguars,
quand ils sautent
entre les arbres,
pareils à des châteaux en l'air,
sacre du safran
en haut des piédestaux de myrrhe,
sous l'apothéose des cèdres,
entre les exténuantes litanies
de bougainvillées,
mirage de la nacre
comme une annonciade renversée
de perdrix,
ode suave des goumiers
dans les Edens parfumés,
avenue magellane
conduisant du nombril du globe
à son orifice,
bordée de perrons suspendus
d'îles panaméennes et malabares,
illuminée
de terrasses de turbulentes
Malaisies,
articulées d'épis étincelants,
hennin de métamorphoses
du rosier profond,
coulée ininterrompue
de vieux pruniers de Chine
en soie véritable,
menstruation de nuages
de métaux rares
comme une menstrue de miracles,
parade et persécution nuptiales
des cinq continents,
portant le voile,
percé d'aigues-marines,
des civilisations,
immolation de cochons de lait,
tendres comme des Libans
nouveaux-nés au prince de midi,
révolution complète de castagnettes,
rouleuses de rocailles sombres et acérées
autour de Saturne,
comme une énorme roue
broyeuse de météores disparates
martelant en rond,
dans leur chute épouvantable,
les citadelles aiguisées du Sud,
scansion de tambours
et de bracelets sonnants,
en l'honneur des ténèbres
qui se dénudent imperceptiblement,
exaltation de prunelles africaines,
étouffant entre leurs bords,
pareils à des colonies d'anges mangeurs
et à des Madagascars éclatés,
à nouveau s'entrelaçant,
les dix bien nommés
horizons élyséens,
dissimulés,
comme des bras heureux
du fleuve Congo,
sous des cils aveuglants,
dont on ne revient jamais,
eux-mêmes chantant
sur des paupières omnivores
veloutées,
brochées de nuées entières
de Guinées nouvelles,
boléro d'yeux
de petite nymphe de Rajasthan,
sidérée par la virile flamme,
comme une musique de violes soûles,
se dévergondant,
jusqu'au brisement,
brise d'étalons arabes,
vent de haras de timbales,
incendie de chars ludiques
assyriens,
divin emballement
de véhicules frêles et parfaits,
allant et venant avec furie
dans les bas quartiers dravidiques
de l'azur,
carnage de luths
et de gemmes succulents,
écart soudain
de Mésopotamies soumises,
bonnes comme des nasses pleines
fantastiques,
émeute immense de raisins sanglants,
arrivés à maturité,
et non encore cueillis,
impudiques assauts
et larges débandades des Sultanes
de Perse,
les plus belliqueuses
et les plus voluptueuses
des chasseresses à courre,
évolutions d'armées de cerises
comme des croisades de coraux,
amoureux remous
dans les pulpes spongieuses
et blondes des mandolines,
ressacs forts de grenades versées,
ressauts affirmateurs de lampes vermeilles,
festival de lacs à cithares,
rumeur d'océan de mammes,
lamentation de la vierge orangeraie,
orangeraie de notre gratitude
épanouie,
pluie-mousson
de myrobolans chauds des îles,
tombant au réveil
dans les blancs sérails
outre-arabiques,
crépuscule incandescent
de mille rugissantes Venises
jetées dans la mer d'Oman,
multipliées à l'infini
par les degrés à miroirs
des pyramides de l'Est,
qu'annoncent au loin les fanfares de trompes aryennes,
fusée de jasmins
progressant dans le soir
à une allure géométrique,
comète de framboisiers royaux
comme une foudroyante et pure
injection libertine,
ruban des dames bleues d'Egypte,
Egypte de nos effervescences fines,
généreusement enroulé
autour du tropique du Capricorne,
comme un calendrier d'indigo
en plumes de perroquet,
pagne d'ailes
de hérons roses,
passé autour de l'équateur,comme un précieux tissu
dissimulant la taille
de la plus sublime
de nos ballerines,
discours d'écluses-Circés
galbées comme des statues
de miel,
nectar final de combat galant
mélangé de sang de colombe,
conciliabules d'ambre,
harangues de phares,
funiculaires de saphirs,
courses d'Atlantes
grisées de palabres d'abeilles,
délibérations de dormeurs
de quais brahmaniques,
humiliation de héros solitaires
à l'orée du temple-montagne
d'Isis,
la tout-enveloppante,
la tout-connaissante,
la tout-pardonnante
soeur,
anéantissement de mustangs ailés
aux pieds d'Amaterasu,
Notre-Dame de l'attirance,
Notre-Dame de la séduction,
reine privilégiée
du tout-empire
de la joie levante,
la trop malicieuse,
la trop enjouée amazone,
la très extravagante,
l'huileuse,
la claire Madone,
Madone des embrasements,
Madone des nobles climats,
à l'âme deux fois agile
d'un bananier fertile,
enveloppée dans une robe
de salle de trône, découverte
et vagabonde,
dans une robe douze fois
plus radieuse
que douze baies d'Acapulco
se faisant face,
aux reflets se croisant
et s'entre-poignardant
dans un zigzag continuel
de festons perfectionnés,
telle qu'elle-même,
tout entière,
des ongles peints savamment,
à la chevelure sophistiquée,
laissée à l'état trouble exprès,
frémissante d'une clameur
d'Arène d'oiseaux!
Ô verbe, qui t'en vas revenir!
Couché dans l'isthme de Panama,
la tête ivre dans le vert Venezuela,
les pieds légers dans
le Yucatan bleu,
comme un samouraï victorieux
à la force d'un fleuve
traditionnel devant qui
tout doit céder et se dissoudre,
la force même qui fait avancer
les terres sous les genoux
des combattants
et fait mouvoir les planètes,
comme l'aède tricontinental de l'amour que je suis,
son zélateur sur toutes
les mappemondes,
par des vils suffrages
qui sur mon front jeune
bourdonnent comme
des anathèmes,
impardonnablement,
ignominieusement ostracisé
de l'amour
et universel perdant,
vainqueur pourtant
sur tous les champs,
sur les champs de vallées
comme sur les champs de pics,
sur les champs maritimes
comme sur les champs de neige,
j'attendrai des inoubliables
fraîcheurs,
ces flots de Bengales
arrivant jusqu'au fleuve rose,
ces longues pendeloques
de Ceylans mielleux,
ce floconneux galop
de Pléiades,
dans dix mille fois
dix mille
cotonneuses mers de Colomb!
LE GRAND RETOUR
PUBLIE CHEZ L’AUTEUR EN OCTOBRE 1980