De la Grâce dans l'Art


De même que l'illustre peintre de l'antiquité
Zeuxis d'Héraclée,
voulant peindre Hélène la Laconienne,
avait passé en revue
toutes les vierges d'Agrigente dévêtues,
afin de reproduire sur sa toile
tout ce qu'elles présentaient
de digne de louange,
de même, moi,
trouvère moderne
voulant chanter
ton extraordinaire beauté,
ô légendaire Bien-Aimée,
je retiens pour mon hymne
tout ce que j'ai observé
de plus admirable
sur le corps des autres jeunes femmes,
sans pour autant m'éloigner de ta vérité!


C'est que,
échappant à la réalité étriquée
de ce monde,
tu te places au pinacle
des beautés fabuleuses
de la mythologie des Hellènes!


Voilà pourquoi, j'ajoute
des détails relevés
sur les corps autres que le tien,
à ton sein parfait
de Croissant de Byzance
et à ta hanche d'astre du jour langoureux,
et à tes cuisses polies
à la pierre ponce!


Et, en plus de ce travail subtil,
je dois rallier à mon entreprise
qui consiste à chanter
une dame à l'âme étonnante,
toutes les forces de mon imagination,
afin de suppléer,
grâce à leur concours,
à tout ce que la pure nature
présente à nos yeux
d'incomplet et d'inachevé!


Or, je ne me considère nullement
comme un aède réaliste,
mais comme le chantre
de ce que les Grecs appellent Charis,
c'est-à-dire la Grâce,
ajoutée au charme,
et qu'ils attribuent,
parmi les artistes valeureux
de cette époque si éloignée de la nôtre,
au seul Apelle de Cos!


En effet, Apelle,
fameux pour son Aphrodite Anadyomène,
sa Diane prenant le bain
au milieu d'un cortège de jeunes filles
qui offrent un sacrifice
et pour son tableau d'Alexandre le Grand
tenant la foudre
comme un nouveau Dionysos,
avait, mieux que quiconque,
rendu au moyen de son seul pinceau
cette Grâce
qui est l'apanage de la surnaturelle beauté!


Sache, ô toi, lecteur
instruit dans la rhétorique hellénique,
oui, sache que je me tiendrais
pour le plus heureux des artistes
si, sur ma tombe,
après ma mort,
on gravait cette épigramme:
«Ci-gît le poète
de la surnaturelle Grâce
des Déesses et des Nymphes»!


Or, il est encore une autre chose
que j'ai apprise
auprès de mon maître Apelle:
la nécessité de ne pas laisser passer
un seul jour
sans pratiquer mon art!


C'est là la discipline même
de la liberté
et la science de la quotidienne
apothéose dionysiaque!


PRUNELLES DE MALACHITE

RECUEIL INEDIT. NOVEMBRE 2006