L'Aède et son Secret


À l'aube de ma vie d'aède,
j'aimais une belle femme
dont les lèvres se consumaient de langueur
et dont les seins
étaient pareils aux fruits,
ensevelis sous la neige,
d'un prunier de Chine
ou aux jasmins d'une nuit d'été
à Athènes
ou aux fleurs rouges d'un grenadier
ou aux fleurs roses d'une clématite!


Elle portait avec fierté
le nom d'une ville de la Vieille Castille
et était peut-être Castillane
ou Andalouse, je ne sais!


Son prénom était le nom d'une déesse ibère
d'avant la conquête romaine
ou d'une Nymphe des Pyrénées!


Et encore aujourd'hui,
quand j'entends par hasard
prononcer ce nom,
le sang s'arrête dans mes veines
et une sueur glacée m'inonde!


L'autre jour, au bourg de Marathon,
les jeunes filles du lieu
me questionnèrent à ce sujet:
Quel est donc, ce mystère,
ô chanteur d'hyménées
bien de chez-nous?


N'y a-t-il pas de femme autre
que cette étrangère,
entre le rivage du Phalère
et l'Hymette
ou le mont Pentélique?


Nous autre filles du pays,
n'avons-nous pas de voix chaudes
à ta convenance?


Nos prunelles ne sont-elles pas
douces comme des marrons?


Nos hanches ne sont-elles pas
rondes à souhait?


Notre allure n'est-elle pas gracieuse
à tes yeux?


Pourquoi donc, te refuser
à notre amour
et lui préférer le fantôme
de cette étrangère?


Livre-nous la clef, s'il te plaît,
de cette énigme!


Et moi, de leur répondre
comme il suit:


-Mes très chères demoiselles,
vous êtes belles comme des paons
et vous savez mieux que moi
que les rossignols font bon ménage
avec les paons!


-Et, d'ailleurs, je n'arrête pas
de célébrer vos charmes
et je vous ai consacré à ce jour
deux mille hymnes!


-Pourtant, sachez que mon coeur
est fermé à chacune de vous,
prise individuellement!


-Car je n'ai plu vraiment
qu'à cette Espagnole!


-Seule elle vantait mes cheveux,
seule elle louait mes odes!


-Oui, il n'y qu'elle
qui pouvait m'aimer, oui, elle,
ni une dame grecque,
ni une fille exotique!


-Oui, seule m'aima
une demoiselle venue d'ailleurs,
d'une contrée où, comme ici,
il y a des oliviers, des orangers,
des citronniers, des grenadiers
et, au bout, la mer!


-De grâce, ne me faites pas de mal
comme les Ménades à Orphée,
resté fidèle à Eurydice!
Respectez ma douleur
et ce mystère
auquel seule la mort
mettra fin!


TRAITS DE CRISTAL

RECUEIL INEDIT. JANVIER 2007