Le Couple d'Aigles


Tous les ponts ont été emportés,
comme par un fleuve en colère,
et, avec eux, cette croyance,
naguère aussi inébranlable que l'Olympe
ou que les Alpes,
en une amour qui tiendrait le milieu
entre la Terre et le Ciel
et qui serait à la fois
Animalité et Divinité,
Descente et Ascension,
Génération et Assomption!


Oui, cette croyance
ou cette doxa,
a été emportée par l'ouragan,
comme une feuille morte
que j'aurais ramassée
et gardée soigneusement,
la préservant de la sorte
des mains indignes!


Or, le corps même de la femme
n'est plus un temple
que pour moi,
qui suis son unique desservant
et le dernier de ses fidèles!


Et Lesbos elle-même,
berceau d'Alcée et de Sapho,
n'est plus qu'un lieu de désespérance
sur fond d'accouplements incolores
et d'accouchements indolores!


Reste la Nature,
demeurent les merles
et les blancs peupliers
et le jet d'eau du patio!


Les merles peuvent chanter
à mon grand plaisir,
les peupliers peuvent m'ombrager
et le jet d'eau peut me rafraîchir,
même s'ils ne comprennent rien
à ma peine!


Car il n'y a plus de chant
dans le coeur des femmes,
il n'y a plus d'ombre
sous leur chevelure
et l'eau de leur regard
s'est tarie,
laissant à sa place un abîme,
le grand gouffre vitreux
du Vide parfait!


Et toi, ô Elue venue d'Espagne
et dans le sourire de qui naguère
semblait sourire la Madone,
tu es la cause principale
de ma peine présente!


Si toi, qui royalement accompagnas
mes premiers pas
dans la vie d'auteur,
en ces jours anciens
qui à jamais s'en allèrent,
avais étendu en rêve
ton bras vers moi,
le petit rossignolet de ta beauté,
tu te serais aperçue
que j'avais l'aile brisée!


Oui, déjà à cette époque,
aussi distante du temps présent
qu'une étoile éteinte
l'est de la terre,
j'étais un rossignol mort,
victime de la paresse
de ton âme oisive!


Oui, même toi
qui es à mon coeur
comme la pluie à un désert pierreux,
tu fus inférieure à toi-même
et aux espérances
que tu avais fait naître!


Cependant, avec le recul du temps,
le parc où nous nous sommes croisés
pour la première fois,
me semble le jardin
où le Bouddha est né
et la salle aux murs nus
où l'on a pris chacun
conscience de l'existence de l'autre,
un palais de marbre de la Vieille Delhi!


Et il semble que le Créateur
a découpé ton visage
dans un blanc nénuphar,
et taillé tes seins
dans un bouton de camélia
et t'avoir donné
les yeux d'une daine sacrée
ou d'un oiseau de paradis!


Puissions-nous nous envoler,
comme un couple d'aigles blanchis,
loin des miasmes actuels
et monter ensemble
dans le Ciel des essences inactuelles,
ô ma belle saison,
ô mon extase
et mon Nirvana!


TRAITS DE CRISTAL

RECUEIL INEDIT. JANVIER 2007