À la plus Callipyge des Dames


Ô toi qui es si belle
que l'homme qui ne t'a pas contemplée
ne connaît rien à la femme,
ton bassin est immense comme le lac Titicaca,
mais en plus circulaire,
et comme ses bords sont escarpés,
il est sonore d'un bord à l'autre
et la caresse s'y fait entendre miraculeusement
de tous les côtés de sa circonférence!


Oui, ta croupe, quand elle est nue,
semble de loin une faïence lustrée!
Elle a le moelleux du velours
et elle est aérienne comme une mousseline!


Sa blancheur est si vive, si éblouissante,
qu'on dirait qu'elle a été frottée
avec de la neige apportée du Caucase!


Et, en plus, elle est volumineuse
comme une turgescence de turquoises
ou comme une bombe de violettes
ou un renflement d'airain!


Elle est si élégante
qu'elle semble une poterie
de la dynastie chinoise des Song
et, sans doute, maint conquérant mongol,
émule de Genghis Khan,
y a posé des baisers fulgurants!


La légende de la beauté de ta hanche
s'est répandue d'Ispahan
jusqu'à Boukhara et à Samarcande
comme la traînée de poudre
d'un coup de canon,
car si la calomnie
obtient vite des suffrages unanimes,
la bonne renommée d'un corps de femme
envahit plus rapidement encore
les cités les plus éloignées!


Or, ta croupe est une piscine d'émail
sur laquelle se pencheraient
des aréquiers harmonieux
et dont l'eau claire bruirait
au son des pas des jeunes Egyptiennes
de la cour des pharaons
qui danseraient enlacées par la main
et la tête fortement inclinée
sur l'épaule,
cependant que derrière une draperie de Chypre
viendrait la musique d'un récitatif dramatique!


Malgré cet étonnant,
ce stupéfiant appas
que constitue ton flanc langoureux,
tu es plus languissante
qu'allègre!


Car, c'est le propre
des jeunes femmes qui n'aiment pas
que d'être constamment souriantes
et bêtement gaies!


Or, de nos jours,
on voit des amants
manger à satiété
et boire leur soûl
et s'embrasser dans les établissements publics
les plus en vue
ou les plus criards!


C'est qu'ils ne s'aiment
qu'en imagination
ou par prétention!


Car, s'ils s'aimaient vraiment,
ils auraient le teint pâle
et les yeux consumés par la fièvre
de l'amour véritable,
cet état si envié
et si copié et si sujet à mille contrefaçons!


L'amour n'est point un divertissement
ou une distraction
ou même une passion
comme celle du tabac ou de la pêche,
mais une houle de mer
qui fait tanguer les vaisseaux
qui s'y aventurent
ou un vol d'aigles blancs
dans l'azur de Crète!


LA COURONNE DE GLYCINES

RECUEIL INEDIT. FEVRIER 2007