Ode À Friedrich Nietzsche


Ô le plus Clairvoyant
des Nochers de l'Esprit!
Ô le plus valeureux
des cavaliers aériens!
Ô le plus haut
des laudateurs du Désir!
Ô le plus mystique
des Éveillés!


Tu es un nuage blanc
dans le ciel de Delphes,
cet ombilic des Sphères
qui tourbillonnent,
entraînées par le thiase cosmique,
dans la lumière éblouissante
de la nuit d'été
parcourue par Dionysos
conduisant lui- même son char
tiré par six fiers coursiers!
Un zéphyr léger
te porte jusqu'au coeur
de cette Hellade
où tu fus le géniteur
des titans,
la terre -mère des géants
et le Soleil,
ce Solitaire
né d'un volcan
de Rubis!

Tu es la mer agitée
du Sud bleu
dont l'écume
est le Grand Rire
des dieux
et le roulis des nefs
qu'elle fait danser
sur ses frémissements,
la fructification
de la Pensée!


Tu es le blé
germant dans l'azur brûlant,
mûrissant au Grand Midi,
mourant sous la faucille
du moissonneur émerveillé,
se faisant mettre en morceaux
par les nobles chevaux
et devenant la pain même
de l'Enthousiasme
dont se nourrit
tout Maître véritable,
tout Seigneur
digne de son ascendance,
tout Héros
à la chevelure fauve!


Tu es le Simoun,
ce Vent à la volonté implacable,
terrible,
qui souffle du Désert
où se débattent
tes poumons orgiastiques
et pathétiques,
arrache les palmes jaunies
et confirme dans leur assise
les palmes saines
dont l'ombre se répand
dans les oasis
comme la gloire d'une Reine
bienfaisante!


Tu es la brise
fertilisant les cèdres
de Phénicie
et faisant accélérer
le cours de la rivière
d'Adonis
qui de cascade en cascade
se gonfle
et se jette dans la mer
rougi par son propre sang!


Tu es le Nil
dont la crue
féconde la plaine éperdue,
couleur de cendre,
de l'Égypte!


Tu es ce pont de Rome
portant dans ses arches puissantes
le Tibre vigoureux
du Devenir,
cet enfant
que tu poussas à grandir
comme une Aurore inattendue,
inespérée et majestueuse!


Tu es ce mont Palatin
où jadis
les flammes portaient
en effigie
l'Empire,
cet empire que tu arpentas
comme un voyageur - soldat
du Destin
à la recherche
du Plus -Qu'Humain!


Mais plus que toute autre chose
tu es le grand chant
de Victoire
que Siegfried
réincarné en toi
entonna à Sils - Maria,
cette cime des Alpes
dont tu fus un aérolithe
de lapis - lazuli
suspendu au- dessus de la neige
virginale!


Ce Chant.
cette mélodie
de ton Être
que les Poètes
entendent encore,
fut la célébration
par toi- même
de ta guerre
contre le Dragon
à deux têtes
du Dégoût de l'Action
et du Néant
de toutes choses,
que tu terrassas
tel Shiva
écrasant le génie
difforme et bariolé
du Vieux Monde!


Ton plus grand
fait d'armes
que tu célébras ainsi
fut la déroute des armées
de Jahvé,
ce nain despotique
dont la cruauté insensée
n'était surpassée
que par la petitesse,
et l'inexistence
par la multitude ahurissante
de ses partisans
dont chacun était un tyran!
Tu achevas tes victoires,
qui furent autant de Résurrections
de toi- même,
en faisant abattre les prisons granitiques
et basaltiques millénaires
et en sortant l'homme
des souterrains du Temple!

Certes, tu ne fus pas
le seul Démolisseur
de ces remparts monstrueux
des ennemis du Plaisir,
mais tu fus le plus beau,
le plus guerrier,
le plus innocent!


Plus tard,
dans un accès d'orgueil
tu te proclamas
le « Meurtrier de Dieu»!
Bienvenu soit ton orgueil,
car il est une Rose
aux mille pétales
dont le parfum
pénètre la plus humble
masure
et bouleverse
même les vies
les plus simples!


En vérité,
tu transformas l'Amour
de la Vie
de péché contre la vérité
qu'il était avant toi
en Axiome
dont tu fis
le suprême Commandement
moral!


Ô Pilier vertébral
de la Raison!
Ô le plus ardent
des Logiciens!
Tu étais encore
au zénith de ton Affirmation,
quand tu choisis,
tel un nouvel Empédocle,
de te précipiter
dans l'abîme magmatique
qu'à cause de tes extraordinaires
travaux
avait creusé en toi
ta solitude
herculéenne!
Tu allas, sans doute,
y rejoindre,
en tant que Dionysos- Surhomme,
Ariane,
ta libre Amante
que tu avais chérie
tout au long
de ton existence passionnante,
quoique inconnue
ou méconnue
jusqu'à la fin!
Ô le plus humain des Humains,
toi qui embrassais les chevaux et les arbres,
ton aventure terrestre
fut aussi longue
que ton passage dans le monde
fut bref,
car elle s'identifia
avec l'aventure de l'homme,
depuis l'Âge
des dieux adorés
dans les cavernes
jusqu'à l'Âge du Surhomme
dont tu fus le Précurseur
et le Prince Premier!


CITADELLES DE CUIVRE

EDITIONS ASSOCIATIVES CLAPAS. FEVRIER 2000