Lamentation D' Amour


Je suis assis sur une colonne
De charbons ardents,
Mon coeur bat parmi des diamants coupants
Et mon corps tout entier
Est la proie de flammes
Nées de mon amour infortunée
Dont le Soleil est le captif
Et la Lune la prisonnière
Depuis que tu décidas
Sur un coup de tête
D'embraser tout le firmament
De ta colère
Qui coule toujours
Au milieu de la Voie lactée
Comme une rivière
De léopards des neiges!


Comme Guido Cavalcanti,
Comme Dante Alighiéri
Et comme François Pétrarque,
Je verse des larmes
Aussi amères
Que la Méditerranée
A l'époque des pirates
Ou que le Moyen- Âge florentin
Au temps des luttes intestines
Entre Guelfes et Gibelins,
Regrettant les délices anciennes
Quand tes baisers
Roulaient sur mes joues
Ainsi que du nectar de glycine,
De la rosée de pélargonium
Ou du miel de rose,
Quand je couvrais
Ta main tendre
De mes hommages abondants
Que ton âme recevait
Comme de l'eau de source
De l'Ida crétois!


Oui, je pleure sans arrêt
Ainsi qu'une courtisane délicate
Rejetée par l'élu de sa poitrine,
Ou une concubine
Délaissée par le Fils du Ciel,
Ou comme un poète nippon
Séparé de son amie
Par l'hiver,
Ou comme un mandarin de Chine
Déçu par le monde,
Ou un lettré de la cour thaïe
Blessé par la dame
A qui ses suffrages le portent!


Je pleure car j'aime tes dents
Que tu découvres en riant,
Et qui sont pareilles
Aux grains d'un chapelet de Sultan,
Ta voix quand tu m'appelles
Et jusqu'aux empreintes
Que laissent tes cheveux
Sur le dossier de ton siège
Quand tu t'abandonnes
A la musique de la brise!


Je pleure parce que ta colère,
Causée peut- être
Par une fleur de pêcher
Chue sur tes genoux
Ou par un poil fin
Echappé d'une chatte persane
Et venu se mêler
A ton duvet impalpable,
Me prive de la joie éminente
De te sentir à côté de moi,
Joie qui évoque l'émotion,
Si toutefois ton esprit
Agrée cette comparaison,
D'écouter le Cantique des Cantiques
Chanté par un choeur
De jeunes filles et de jeunes gens
Du temps des califes
De Damas, de Bagdad ou de Cordoue!


C'est pourquoi, mon voeu d'amour
En ta faveur
Et en notre nom
A tous deux
S'élève dans l'azur
Ainsi qu'une mélodie andalouse
Conçue sous le règne
D' Abd- Al Rahman III
Et où il entre de l'inquiétude,
De l'angoisse, de la ferveur,
Et de la confiance illimitée
En la Divine Clémence,
Infinie en son principe invisible
Et constante en ses manifestations
Au fil des heures
Et des jours,
Rivée à l'homme,
Quel qu'il soit,
Où qu'il se trouve,
Qu'il désespère
Ou qu'il espère,
Qu'il se lamente
Ou qu'il prie!


LES FORGES DE LA LUNE

RECUEIL INEDIT