Farrukhnaz
Farrukhnaz,
ma tendre esclave
pour qui je me damne,
à jamais je porterai les doux fers
de ton beau minois!
Tu es tout entière
un plateau de cuivre de Chypre
sur lequel mes serviteurs m'apportent
les fruits les plus exquis,
des pommes d'Arménie
jusqu'aux pommes de Perse
et les pommes d'or d'Espagne
et les bananes des Indes
et les ananas des contrées inconnues,
mais chères à mon âme!
Car ta taille est
le pétiole d'une feuille du pommier
dont j'ai goûté les fruits
en y lisant à livre ouvert
le Bien et le Mal!
Et j'enseigne aux vents
soufflant du sud-est
l'au-delà de la luxure
et de la vertu,
la réalité supérieure
des extravagants et des extravagantes,
ces hérauts du sens,
dont le caducée porte en relief
le catilinaire contre les esprits obtus
qui mènent le monde à la ruine,
et le philippique
contre les mercenaires de la médiocrité
se comptant par myriades de millions
et qui contribuent tous
à la construction du château de cartes
ou de la citadelle de sable
qu'est la modernité,
cette bulle effervescente
où s'engloutissent tout l'avoir
et tout l'être d'une humanité
entraînée par les chevaliers d'industrie,
consommés dans l'art de plaire à la multitude
grâce à la rhétorique grotesque,
empruntée aux boucaniers des Antilles!
Ô ma bonne visiteuse
des après-midi de loisir langoureux,
aux lourdes hanches orientales,
sache que je sacrifie à Aphrodite
et que je te voue pour cela
une amour durable
comme la fidèle constance
des amants de Vérone,
comme la mâle loyauté de Castor,
comme la vaillance d'Hector
et comme la mystique prêtrise de Teucros,
le fondateur de Troie,
la cité six fois renée de ses cendres
sous les auspices de Vénus Triomphale,
et la mère de Rome!
Je ne laisse pas, cependant,
de croire en l'insigne beauté
de ton âme
et en la gentilité foncière
de ton coeur païen à discrétion!
C'est pourquoi, jamais je ne me lasserai
de te tresser des dithyrambes pindarisants
et de bâtir des panégyriques
à ta louange!
Ton visage vainc
les fumées artificielles
s'élevant des autels innombrables
du Veau d'or
et s'impose à ta race
comme l'Etoile du Soir
s'impose, par sa lumière, à la terre,
par les nuits de pleine lune
en Juillet!
J'ai tout lieu de prétendre
que le nouveau Livre de la Genèse
naîtra de tes flancs fertiles
où la Madone rejoint Artémis d'Ephèse,
la Prostituée, la Vierge!
Car de par la suave nonchalance
des jouvencelles de Grèce et d'Orient,
je sais maintenant distinguer,
d'entre les brumes barbares,
l'unique carrière qui mène
à la Porte du Salut!
LE TRAGEDIEN DU SOLEIL
RECUEIL INEDIT. MARS 2005