Le Litige


Ô Bohémienne qui jadis
piquais ton âme comme une rose rouge
dans ton corsage libertin,
maintenant que les fleurs
de ta jeunesse s'en sont
une à une allées,
accepte de comparaître avec moi
devant la Haute Cour du Temps,
seule compétente pour résoudre
le litige qui nous oppose
comme au temps de la guerre
des Deux Roses
la Maison de York
à la Maison de Lancastre!


Bien que mon coeur
soit acquis à l'Arabie,
je ne partage point avec cette nation
sa foi pure comme la mort
et même l'hypocrisie
m'y semble préférable,
étant un art de vivre
déguisé en vice ou manie!


Or, tu as toute la violence
d'un docteur de la loi musulman
et il est tout aussi vrai
que si ta conduite était
un tant soit peu
entachée de tartufferie,
j'aurais pu t'arracher
quelques lambeaux de tendresse
et même j'aurais pu prendre
quelques morceaux de ton coeur
vieux comme le monde
en en détournant l'énergie
vers la paix de la lune d'été
enveloppant les amoureux
comme des oliviers de Gesthémané!


Mais tu ne m'as presque rien
donné, car tu préférais
à la substance des êtres
les fictions, certes vraies,
et cependant irréelles,
du cerveau humain
tisseur de légendes nécessaires,
pour expliquer l'Inexplicable!


Je te le dis en vérité,
il n'est d'essentiel
que ce coteau où tu respires
le fumier des vaches,
que cette plaine où ton oeil
se perd dans la splendeur
des blés non encore fauchés,
que ces silos prêts à recevoir
le froment nourricier,
que cette boule de feu
qui brille au-dessus des meurtrissures
ouvertes par tes griffes,
que cette lune au milieu du ciel
qui est la musique de la bonté,
celle du regard des biches,
des cornes des cerfs
et de tes cheveux d'ébène,
luisants d'huile d'olive!


Ô toi qui aspires à l'invisible,
inspire-toi du visible,
tu y découvriras mille mondes cachés
comme dans le cocon d'un ver à soie!


Ne pleure pas, cueille dès à présent
les tulipes blanches,
car il n'est de vallée de larmes
que celle que nous créons à nous- mêmes!


Cueille les coquelicots
afin que le rouge de tes lèvres
s'affermisse
et que les couleurs reviennent
sur tes joues pâlies d'effroi
devant ta pensée hagarde!


Cueille les roses mystiques
pendant qu'il est encore temps,
car ce que tu crois être

vanité et superficialité
est profondeur et nécessité!


Sois libre comme une Spartiate,
comme une Germaine barbare,
comme une Arabe païenne,
comme une Hindoue du Moyen- Âge,
comme une Maorie,
comme une Balinaise,
comme une Brésilienne
au mont de Vénus proéminent!


Balance tes hanches,
tu t'identifieras à la terre ronde
et dans l'éclair
un instant allumé
dans les yeux des hommes
par le mouvement souverain
de ta croupe fertile
tu liras la beauté qui passe
et ne meurt guère!


Et dans cet instant même
tu saisiras ton éternité de déesse!
Certes, il n'est de Déesse
que la Déesse,
comme semblaient penser
les Romains tardifs,
et il n'est de Dieu que Dieu
comme le prétendent les musulmans,
mais le Dieu ou la Déesse
gisent aussi bien
dans ton sang menstruel
que dans ton désir de jais,
noir comme un grain de raisin,
aussi noir que tes dents,
entre lesquelles expirent les anges
sont blanches
ainsi que les perles
les plus blanches!


ORAGE D'HELIOTROPES

RECUEIL INEDIT