En Hommage à Anacréon


La plus haute philosophie,
celle qu'on enseigne à Cyrène,
consiste à louer la beauté de la terre
et, plus particulièment,
la beauté des jeunes femmes
semblables aux roses de Chiraz
et qui donnent vie aux tulipes
et à toutes les fleurs en général!


Car, il suffit à un homme libre
et hors du commun
de voir une seule boucle noire
des cheveux d'une demoiselle
pour qu'il ressuscite
d'entre les morts,
tel un myste d'Eleusis,
et, par ailleurs, on sait
que le mouvement des planètes
et donc, le retour périodique du printemps,
dépendent de la bonne volonté
de notre Bien-Aimée!


Contrairement à Grégoire Palamas,
je place le centre de l'univers,
non dans le nombril du sage,
mais dans la vulve de la femme!


Et voilà pourquoi le Cantique des cantiques,
écrit par Salomon sur les pétales
des lys de Galilée
et des jasmins d'Irak,
a subjugué le monde entier!


La même chose vaut
pour les odes d'Anacréon et de Sapho,
le théâtre de Kalidasa,
les hymnes tantriques,
les ghazels de Hafiz
et les chants de Yayadeva
et de Candidas!


Il est dit dans les livres persans
que le monde est une ruine!
Or, si le monde est bien
un temple en ruines,
dans les hypogées de ce temple
fermente comme l'espoir
le vin de toutes les folies du désir,
le vin des transports amoureux!


Moi-même, je me flatte
de posséder la lyre d'Homère
à laquelle j'ai, cependant,
arraché l'une des cordes,
la corde guerrière!


Car, loin d'être un héraut
qui appelle les citoyens aux armes,
je danse avec une jeune beauté,
la tête ivre,
et je mêle les accents
de la cithare apollonienne
aux bruyants hymnes de Dionysos!


Et j'avoue préférer Anacréon
à Achille!


Car, au lieu de répandre le sang
de ses ennemis, voire de ses frères,
Anacréon buvait
les meilleurs crus de Chio et de Samos!


Et au lieu de faire fuir
par sa fureur
les jeunes filles qui badinaient
avec leurs amoureux
sur la margelle d'un puits,
Anacréon faisait fuir les noirs chagrins
qui assaillent les vivants!


Et de comparer la vie d'Achille
à la vie d'Anacréon:
le premier a péri comme un fou
dans sa prime jeunesse,
le second est mort à un âge avancé
en buveur impénitent,
après avoir chanté et aimé
un nombre infini de fois!


En effet, il y a plus de savoir
dans la coupe d'Omar Khayyâm
que dans tous les traités
des docteurs de la loi musulmans
et que dans tous les travaux
des savants chrétiens!


Et, à l'opposé d'Homère et de Valmiki,
mon luth ne rend
que des sons d'amour
qui semblent dire:
Embrassez-vous,
embrassez-vous jour et nuit!


CORPS DE LIBERTE

RECUEIL INEDIT. DU 9 AU 15 MARS 2007